Une république africaine précoloniale

La République des Lébous : du système politique à l’ethnie.

 Bien avant les bouleversements de la colonisation, des sociétés africaines comme celle des Lébous avaient déjà élaboré des structures politiques, sociales et environnementales d’une grande sophistication. Sans nécessairement remonter à l’époque de nos illustres empires africains, à une époque relativement récente naît la République des Lébous, qui incarne l’une des instances où la dignité et les principes éthiques ont transcendé les contingences temporelles pour rayonner dans l’histoire.

I.   Une république émanant d’un soulèvement révolutionnaire.

La République des Lébous trouve ses origines dans un mouvement révolutionnaire animé par une quête inextinguible d’émancipation et de souveraineté. Son avènement remonte à la période allant de 1 780 à 1 809, marquée par le règne despotique du Damel Amary N’Goné N’Della Coumba dans le Cayor, provoquant une dissension croissante parmi les sujets envers son gouvernement. C’est en 1790 que les Lébous brisèrent définitivement les chaînes de leur sujétion au Damel du Cayor, refusant également de verser tribut à ce pouvoir extérieur. A la suite de cet événement eut lieu une vague d’émigration à l’Ouest du Sénégal, Dakar émergea comme un bastion vibrant de leur affirmation identitaire et sociale. Cette rupture n’est d’ailleurs loin d’être un événement isolé, les Lébous, à plusieurs reprises, choisirent l’exil à la soumission.

Les travaux de recherches tels que l’éminent historien Cheikh Anta Diop sont à l’origine de recherches qui touchent aux origines lointaines des Lébous. Selon C. A. Diop ; leurs périples remonteraient à plus de 7 000 ans, débutant en Égypte ancienne jusqu’à s’établir dans la région du Cayor après une série de pérégrinations successives. Toutefois, cette hypothèse demeure controversée et est réfutée par plusieurs historiens. Néanmoins, un consensus se dégage quant au fait que, à de nombreuses reprises, les Lébous furent contraints de migrer pour échapper à la domination politique et la colonisation culturelle avant de se sédentariser sur la Presqu’île du Cap Vert.

Ainsi, les lébous se présentent non seulement comme une entité politique mais aussi comme un symbole de résistance, rappelant l’importance cruciale de la mémoire collective dans la construction des identités contemporaines.

Carte de la Presqu’île du Cap Vert. (Source: I. Sidibé, novembre 2012)

Le Damel du Cayor Amary N’Goné N’Della Coumba (Source: Sene.News)

II.         Héritage politique des Lébous : une République avant la République ?

L’émancipation obtenue ne soustrait point les lébous à l’entrecroisement de défis intrinsèques et extrinsèques, exigeant ainsi une quête d’harmonie et la résolution de problématiques d’une complexité notable. C’est dans ce contexte qu’émerge une organisation politique, marquée par la désignation du Serigne Ndakarou Diop comme chef de la communauté Lébou pour incarner l’autorité centrale. Toutefois, « la méfiance des Lébous à l’égard de tout pouvoir despotique semblable à celui du Damel les poussa à élire d’autres dignitaires dont le pouvoir imposait des limites à celui du serigne Ndakarou » (SYLLA 1991). Ce système de gouvernance repose sur une répartition des responsabilités publiques, qui témoigne d’une organisation politique avancée. Parmi ces fonctions on retrouve le Ndeye ji Rew l’équivalent d’un premier ministre, garant de la propriété foncière et de gérer les affaires administratives et économiques stratégiques. On retrouve également le Baargeyi, ministre de la Pêche, figure essentielle dans une société où la pêche constitue l’épine dorsale de l’économie locale. Ce système politique, indéniablement démocratique dans son essence par sa structure collective et sa répartition des pouvoirs, se distingue toutefois des conceptions occidentales de la démocratie, notamment par l’absence de suffrage universel et par des modalités de participation ancrées dans les traditions locales.

Les principales fonctions publiques se transmettent encore aujourd’hui par un héritage au sein de certaines lignées, comme celle du Serigne Ndakarou. Cependant, des postes comme ceux de ministres, de chefs de quartiers ou de sages sont élus pour garantir une représentation des différentes composantes de la communauté. Il convient de souligner qu’aucune rémunération n‘est attachée à ces fonctions, signe d’une gouvernance fondée sur le service communautaire plutôt que sur des intérêts individuels. Ce modèle lébou se distingue autant du système royaliste auquel ils étaient autrefois soumis que des structures politiques des villages environnants. Cette singularité confère à l’organisation politique des lébous un statut de précurseur, évoquant par certains aspects une forme de république avant l’heure.

Le Grand Serigne Ndakarou Abdoulaye Makhtar Diop (Source: Seneplus)

III.   Une gestion harmonieuse des ressources : l’interdépendance entre l’humain et l’environnement chez les Lébous.

A leur arrivée sur la presqu’île du Cap Vert, les Lébous ont établi un système durable pour la gestion des ressources environnantes. Celui-ci repose sur une vision collective et holistique de leur environnement. Cette administration des ressources, transmise de génération en génération, se manifeste par un lien sacré à la nature, conçu comme un patrimoine à préserver dans sa diversité et son intégrité. Chez les Lébous, la nature est reçue non seulement comme une ressource, mais comme un bien sacré, intimement lié à leur spiritualité. Bien que cette communauté soit majoritairement musulmane, elle a su conserver des éléments profonds de sa culture animiste, témoignant d’un respect ancestral pour les diversités marines et terrestres. Cette spiritualité établit ainsi une harmonie entre l’humain et sa nature, tout en préservant les rites et les croyances qui régulent la vie sociale de la communauté.

Les saltigués constituent la pierre angulaire de cette gestion des ressources. Gardiens des cycles naturels, ils instaurent des périodes de repos pour les activités de pêche et dictent les rituels de gratitude adressés aux éléments naturels, à l’instar de la mer. Ces pratiques reflètent une préoccupation profondément ancrée pour la régénération des ressources et le maintien de l’équilibre écologique.

Un exemple emblématique de cette gestion se trouve dans les croyances et pratiques liées à l’île des Madeleines, lieux sacrés et protégés. Dans cette île, considérée comme un sanctuaire naturel, était formellement interdit d’exploiter des ressources pour une consommation extérieure, tout ce qui s’y trouvait devait être consommé sur place. Par ailleurs, toute forme de prédation excessive était proscrite, les espèces animales vivant sur ces îles ne pouvaient être ni tuées ni déplacées. Quant à la pêche, elle était autorisée, mais sous certaines conditions : si un poisson appartenait à une espèce inconnue, il devait impérativement être relâché dans son milieu naturel. Ainsi, grâce à ces restrictions et aux régulations coutumières, il a été possible de maintenir l’intégrité de l’île et de ses ressources maritimes environnantes.

Cette approche profondément intégrée a longtemps permis de préserver l’environnement sans compromettre les besoins fondamentaux des populations. Toutefois, cette relation harmonieuse entre l’humain et la nature connaît aujourd’hui des défis majeurs. L’époque contemporaine, marquée par une quête de rentabilité économique et par des besoins croissants liés à la modernité, menace ces équilibres fragiles. Les pressions exercées sur les ressources naturelles, telles que la surpêche, et l’urbanisation galopante ont peu à peu entamé cette sagesse ancestrale et mis à mal les pratiques de conservation traditionnelles.

Ainsi, l’histoire des Lébous illustre la richesse des sociétés africaines, un patrimoine inestimable souvent occulté par les récits dominants. Réhabiliter cette mémoire, relève d’un impératif de justice historique, mais constitue également la possibilité de tirer enseignement de ces systèmes politiques précoloniaux. C’est dans cette réconciliation entre mémoire et modernité que pourrait résider une part prépondérante du renouveau panafricain. 

Bibliographie: 

  • SECK P.O. (1994), l’idée de nation en Afrique, Thèse de doctorat en droit public, Université de Nanterre. 
  • SYLLA A. (1992), Le peuple lébou de la presqu’île du Cap vert, Dakar, les Nouvelles Éditions Africaines du Sénégal, 135p. 
  • THIAM M. (1970) Entretiens sur l’histoire des Lébous de la presqu’île du Cap Vert par Sylla A, Dakar, 30p.
  • BALANDIER G. ET MERCIER P. (1952), Les pêcheurs Lébou du Sénégal. Particularisme et évolution, Saint Louis, Centre IFAN-Sénégal, Collection Études sénégalaises, n°3, 216 p. 
  • Gouvernance en Afrique, (2006), “La gestion des ressources naturelles dans l’organisation sociale et administrative traditionnelle des lébous”, consulté le 4 décembre 2024. 
  • SIDIBÉ I. (2013), Un territoire dans l’espace politique, économique et religieux du Sénégal, Le cas de la baie de Ouakam,  Dakar, GéoProdig, consulté le 10 décembre 2024. 
  • DIOP A. B (2016), Comprendre l’histoire des Lébu de la région du Cap Vert: aperçu historique de Dakar, Mbao, et Rufisque , Dakar, Sénégal. 
  • GUEYE. A (1977), Les lébous et la pêche artisanale, Thèse de doctorat soutenue devant la faculté de Médecine et de Pharmacie de Dakar, Dakar, Sénégal.

Myriam Gueye Etudiante en double licence Économie – Géo Aménagement à Paris 1 et vice-présidente d’ESMA

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