Le 15 octobre 1987, le président Thomas Isidore Sankara était assassiné avec 12 de ses compagnons. Cet après-midi là, il présidait une réunion du secrétariat de la présidence du Conseil national de la révolution (CNR), l’organe principal du pouvoir à l’époque. Quelques minutes après le début de celle-ci, il tombait sous les balles de six militaires, membres du Centre national d’entraînement commando (CNEC) de Pô, dirigé par Gilbert Diendéré, un proche de Blaise Compaoré. Pourtant, sur le certificat de décès officiel de celui que l’on appelait Thom Sank, on peut lire cette invraisemblable mention : « mort naturelle ».
Durant quatre ans, le célèbre capitaine au béret rouge a incarné l’idéal révolutionnaire, qui continue de faire rêver, trente ans après sa disparition, une jeunesse africaine en manque de modèle. Portant haut les valeurs d’intégrité et de justice sociale, militant anti-impérialiste, habité d’une volonté émancipatrice et panafricaniste convaincu, Thomas Sankara fut assassiné car il dérangeait. Personnage charismatique, il plaçait la nation au dessus des intérêts particuliers et souhaitait couper le cordon avec les puissances impérialistes pour renverser un ordre international qui maintenait son pays dans un rapport de prédation. « La Patrie ou la mort, nous vaincrons », le slogan par lequel se conclut l’hymne national burkinabé à l’époque de la révolution résume ainsi parfaitement sa philosophie
En rebaptisant Burkina Faso -littéralement « pays des hommes intègres » – le pays que l’on appelait Haute-Volta depuis l’établissement d’une colonie française en 1919, Thomas Sankara donne le ton. Sobriété et exemplarité, voici les principes qui guident la conduite des ministres et hauts fonctionnaires d’état dans un pays qui compte parmi les plus pauvres du monde. Ainsi, les Mercedes avec chauffeur sont rapidement remplacées par des Renaults R5 et les ministres sont priés de voyager en classe économique. « Nous avons pris le pouvoir pour servir le peuple et non pour nous servir » affirmait le capitaine Sankara. Aucun traitement de faveur ne fut accordé, ni même à son « frère », Blaise Compaoré, à la tête des commandos de Pô qui prirent Ouagadougou avec l’appui de civils pour porter Thomas Sankara au pouvoir le 4 août 1983. Les propos de Fidèle Toé, ancien ministre de la fonction publique vont dans ce sens « Thomas disait de Blaise : “Nous dormons sur la même natte mais nous n’avons pas les mêmes rêves.” ». En effet, le 15 octobre 1987, lors du «jeudi noir», Blaise Compaoré s’empare du pouvoir par un putsch militaire au cours duquel son ami et ancien compagnon de lutte est assassiné. Surnommé Ravaillac par certains burkinabè, Compaoré a toujours nié toute participation dans ce meurtre. 27 ans plus tard, en 2014, beaucoup voient dans le mouvement populaire qui a poussé le beau Blaise vers la sortie, la vengeance de Sankara, véritable mythe de la jeunesse burkinabè qui brandissait à nouveau son portrait pour l’occasion.
Thomas Sankara ne se contentait pas de frustrer ceux qui gravitent autour du pouvoir, il s’inscrit dans une démarche radicalement indépendante et panafricaine, ce qui faisait craindre aux puissances régionales comme internationales la diffusion de ses idéaux révolutionnaires.
En 1983, la Haute Volta était le principal fournisseur de main d’œuvre bon-marché de la région ouest-africaine, notamment dans les plantations de cacao et de café en Côte d’Ivoire. Un an plus tard, le capitaine Sankara fraîchement arrivé au pouvoir concentra ses efforts sur la création de nouveaux circuits de distribution pour favoriser les productions locales. Ainsi, les fonctionnaires sont priés de se vêtir du Faso dan fani, l’habit traditionnel taillé dans des cotonnades burkinabées. Par ailleurs, il réussit à faire accéder le Burkina Faso, pays du Sahel à l’autosuffisance alimentaire en seulement quatre ans. Sa popularité est telle que les chefs d’état voisins comme Houphouët-Boigny en Côte d’Ivoire sont très réticents à l’idée d’accueillir le « Che Guevara Africain » sur leur sol, de peur que sa présence ne suscite un mouvement révolutionnaire. Thomas Sankara est perçu comme un élément déstabilisateur de la région et encore au-delà.
A l’inverse d’Houphouët-Boigny, chef d’état très largement impliqué dans la Françafrique, Sankara refuse les invitations de l’Élysée aux traditionnels sommets réunissant le président français et les chefs d’état africains de l’ancien empire colonial. Le 17 novembre 1986, François Mitterrand atterrit à Ouagadougou, la banderole « Halte à l’impérialisme » accrochée sur l’aéroport de 1983 à 1987 est enlevée pour l’occasion. Lors d’un discours mémorable Thomas Sankara accuse le président français de cautionner le régime de l’apartheid qui sévit en Afrique du Sud. En effet, Peter Botha, premier ministre sud-africain de l’époque fut reçu deux semaines plus tôt par le président de la République.
Cette prise d’indépendance politique et économique ainsi que cette liberté dans la parole de Sankara seront portées jusque dans les sommets internationaux. Le 29 juillet 1987 à Addis-Abeba sur la tribune de l’Organisation de l’Unité Africaine, ancêtre de l’Union Africaine, Thomas Sankara déclare « La dette ne peut pas être remboursée parce que, d’abord, si nous ne payons pas, nos bailleurs de fonds ne mourront pas, soyons-en sûrs. Par contre, si nous payons, c’est nous qui allons mourir. Soyons-en sûrs également ! ». C’est dans cette perspective qu’il refuse les plans d’ajustement structurel du FMI, perçus comme facteur aggravant de la paupérisation de la population.
En exprimant fièrement son indépendance vis-à-vis de ceux qu’il nomme «les prédateurs », et en renforçant parallèlement ses relations avec Moscou et surtout la Havane, symbole de l’anti-impérialisme, Thomas Sankara arrivé au pouvoir à 34 ans est perçu comme un fougueux militaire, dangereux car porteur d’idéaux révolutionnaires. En ce sens, l’implication de la Côte d’Ivoire et de la France dans son assassinat revient avec insistance.
Que l’on ne s’y trompe guère, ce sont bien les idéaux de justice sociale et d’indépendance nationale, incompatibles avec les intérêts de différents acteurs locaux, régionaux et internationaux qui ont fait de Thomas Sankara un martyre, mort pour l’émancipation de son peuple. Le manque flagrant d’implication de la justice ivoirienne et le secret défense brandit jusqu’alors par la France, ne permettent pas de faire toute la lumière sur l’assassinat d’un chef d’état indéniablement progressiste et visionnaire. Ses discours et les mesures prises en matière d’éducation, de l’émancipation des femmes et de préservation de l’environnement sont plus que jamais d’actualité.
Références pour approfondir
Livre
Bruno Joffré, Biographe de Thomas Sankara: la patrie ou la mort, L’Harmattan, 1997.
Articles de presse
Dossier Jeune Afrique
http://www.jeuneafrique.com/dossiers/qui-a-tue-sankara-retour-sur-une-affaire-detat-30-ans-apres/
Un compte rendu de Stéphane Dupont
Dupont Stéphane. Sennen Andriamirado. Sankara le rebelle. In: Politique étrangère, n°2 – 1988 – 53ᵉannée. pp. 503-504.
http://www.persee.fr/doc/polit_0032-342x_1988_num_53_2_3786_t1_0503_0000_7?q=Thomas%20Sankara
Article du journal la liberté, Qui a tué le capitaine Thomas Sankara, fev 2016.
Documents Audio-visuels
Reportage LCP ( la chaîne parlementaire)
https://www.youtube.com/watch?v=Q-kHFJITDA4&t=43s
Mediapart : Quel est l’héritage de Thomas Sankara. (Débat)
https://www.youtube.com/watch?v=sG3yfZzP6IU
France Inter : Thomas Sankara, la Patrie ou la mort. (emission affaires sensibles)
https://www.franceinter.fr/emissions/affaires-sensibles/affaires-sensibles-09-octobre-2015
Thomas Sankara ou la dignité de l’Afrique, Le monde diplomatique, octobre 2007.
https://www.monde-diplomatique.fr/2007/10/JAFFRE/15202
Votre commentaire