« Le féminisme a toujours fait partie de l’Afrique », affirmait Chimamanda Ngozi Adichie, auteure de l’essai We should all be feminists (Nous devrions tou.te.s être féministes) et l’une des militantes pour les droits des femmes les plus influentes du monde.
Le féminisme correspond à des mouvements visant à atteindre une véritable égalité juridique, politique et sociale entre tous les individus, quels que soient leur sexe ou leur genre. Cela vise donc à émanciper les femmes de la domination masculine des sociétés patriarcales, à la fois en raison de la phallocratie et de la patrilinéarité, mais ces mouvements ont également pour ambition de libérer les hommes, face à l’injonction à la virilité. Il est aussi nécessaire de ne pas oublier les personnes non binaires, ne se sentant pas représentées par la dichotomie femme/homme. Il s’agit donc de s’interroger quant à la pression du genre et ses conséquences sur des comportements individuels, mais aussi à l’échelle sociétale.
Lorsque Chimamanda Ngozi Adichie affirme que le féminisme a toute sa place en Afrique, cela soulève des questionnements quant à l’origine de ces mouvements. En effet, dans Le fardeau de la femme blanche : les féministes britanniques et la femme indienne, 1865/1915, Antoinette M. Burton explique à quel point les débuts d’un féminisme revendiqué au XIXème siècle et le colonialisme pouvaient être liés. Le féminisme peut donc être rejeté, comme symbole d’une domination des populations blanches sur les populations indigènes.
Pourtant, la place des femmes et le féminisme prennent de plus en plus d’ampleur sur le continent. Plusieurs figures fortes de femmes et nombre de féministes africaines représentent une grande source d’inspiration dans le monde entier. De plus, bien que le féminisme soit un terme apparu au XIXème siècle, la lutte des femmes a toujours eu lieu sur ce continent, sous la forme de différents mouvements féminins, non encore définis comme féministes.
Par mouvement de femmes, nous entendons toute organisation, constituée de femmes, qui lutte pour l’amélioration de la condition des femmes tout en ayant un discours modéré, c’est-à-dire ne remettant pas en cause le système patriarcal. Comme nous le verrons, elles peuvent être institutionnalisées ou informelles, rurales ou urbaines.
Quant aux mouvements féministes, ils se revendiquent d’une part comme tels, et d’autre part, ils ont pour objectif l’égalité entre femmes et hommes. Ils amorcent de nouveaux questionnements sur les femmes dans les opinions publiques, mais ont souvent du mal à être entendus au niveau politique. Les relations entre mouvements féminins et féministes sont complexes, faites de contradictions et d’antagonismes, mais aussi de convergences et de collaboration.
Cet article demeure malheureusement insuffisant pour tenir compte de ce phénomène de façon complète. Nous tenterons tout de même de vous montrer que certaines féministes tiennent encore aujourd’hui à une libération des femmes au nom des textes sacrés et de la volonté divine. D’autres défenseures des droits des femmes se consacrent notamment sur une émancipation corporelle, sexuelle et une meilleure représentation politique et culturelle des femmes. Il est aussi important de ne pas perdre de vue les mouvements féministes de la diaspora, notamment afro-féministes, menés par des femmes ayant grandi ou vivant en dehors de l’Afrique, mais considérant leur condition profondément liée à ce continent.
Retour sur les mouvements de femmes en Afrique
Les mouvements de femmes existent depuis longtemps en Afrique car les femmes ont des manières de regroupement et d’association qui leur sont propres, notamment en ce qui concerne le travail et la résolution des problèmes.
Cependant, il est important de souligner que les mouvements de femmes tels que nous les connaissons aujourd’hui sont apparus avec la colonisation. Ils lui ont en effet emprunté des modèles organisationnels, que ce soit pour la structuration ou le mode d’action.
Fatou Sow, sociologue sénégalaise, dans son article « Femmes, socialité et valeurs africaines » et dans l’entretien sur les mouvements féministes en Afrique pour la Revue Tiers Monde, distingue les organisations institutionnalisées et celles ne disposant pas de reconnaissance légale.
– La première catégorie est essentiellement composée des mouvements de femmes créés par les partis. Ce sont les premières organisations à bénéficier d’une reconnaissance officielle et de la capacité à interagir avec le pouvoir. On peut par exemple citer la Ligue des femmes de l’ANC (Congrès National Africain) d’Afrique du Sud, créé en 1931 et intégré à l’ANC en 1943.
– Dans la deuxième catégorie, on trouve les réseaux féminins de parenté, de voisinage, de solidarité et d’échanges multiformes. A titre d’exemple, on peut parler des tontines, c’est-à-dire des regroupements de femmes visant à la constitution d’une épargne.
– Entre les deux, on trouve de nombreuses autres formes d’organisations, telles que les associations amicales, corporatistes ou professionnelles.
Fatou Sow différencie également les organisations féminines rurales des associations urbaines.
– Les organisations féminines rurales sont des regroupements de femmes fondés sur des relations sociales forgées entre elles.
– Les associations urbaines, au contraire, sont plus structurées : elles forment un bureau, élisent une Présidente et une trésorière tout en rassemblant des membres. Ce sont elles qui se positionnent dans le dialogue avec le pouvoir, en occupant l’espace politique, sans toutefois accéder au pouvoir de décision.
Tous ces mouvements réclament de meilleures conditions de vie et de santé pour les femmes, ainsi qu’un accès à l’éducation, à la formation et à l’emploi, un meilleur accès à la promotion sociale et une plus forte représentation dans les structures de pouvoir. Cependant, elles ne dénoncent pas le système patriarcal politique et social et ne questionnent pas la culture (hormis quelques pratiques jugées excessives, telles que les dépenses dans le cadre des cérémonies familiales ou la dot).
Les femmes dans la lutte contre le colonialisme
Amina Mama, auteure et professeure nigériane, écrivait dans le numéro de lancement de la revue Feminist Africa :
« En contexte africain, le féminisme est né de l’engagement profond des femmes et de leur dévouement à la libération nationale »
Dans ce contexte, il peut être intéressant de revenir d’une part sur le portrait de quelques femmes engagées dans la lutte contre la domination coloniale et d’autre part sur des actions menées par des femmes, toujours dans le cadre de cette lutte.
En ce qui concerne les portraits, nous nous concentrerons sur celui d’Aoua Keïta, sage-femme, militante et femme politique malienne, car il illustre parfaitement la capacité de résistance des femmes à l’ordre colonial et la manière dont les luttes contre la domination coloniale et pour l’amélioration de la condition des femmes peuvent être liées.
Aoua Keïta (1912-1980) est une figure importante du combat pour l’indépendance du Soudan français. Après des études à l’Ecole africaine de médecine et de pharmacie de Dakar et l’obtention de son diplôme de sage-femme, elle rejoint en 1946 l’Union Soudanaise – Rassemblement Démocratique Africain (US-RDA). En 1958, elle entre au bureau du parti et elle est nommée membre du Comité constitutionnel de la République soudanaise. L’année suivante, elle est élue députée de la Fédération du Mali, ce qui lui permet de participer à l’élaboration de la Constitution. En 1962, elle prend part à l’élaboration du code malien du mariage et de la tutelle, qui constitue une grande avancée pour le droit des femmes au Mali. En parallèle, elle fonde le mouvement intersyndical féminin, qu’elle représente au Congrès constitutif de l’Union générale des travailleurs de l’Afrique noire. Elle a également représenté le Mali à la rencontre constitutive des femmes d’Afrique de l’Ouest, qui s’est tenu en 1959 à Bamako. Elle est à l’origine de la Journée internationale de la femme africaine (JIFA), promulguée par l’ONU et l’OUA le 31 juillet 1962. Enfin, en 1962, elle a participé à la conférence des femmes de Dar-es-Salam, qui donne naissance à l’Organisation panafricaine des femmes. Une vie chargée, donc, qu’elle relate dans son autobiographie La vie d’Aoua Kéita racontée par elle-même, une autobiographie, publiée en 1975.
Sans les développer, on peut également mentionner d’autres femmes ayant joué un rôle dans la lutte contre l’ordre colonialiste :
– Aline Sitoé Diatta, figure emblématique de la résistance casamançaise (Sud de l’actuel Sénégal) à la colonisation
– Gisèle Rabeshala, femme politique malgache qui a lutté pour l’indépendance de son pays, ainsi que les droits de l’Homme et la liberté des peuples.
– Lillian Ngoyi, militante anti-apartheid, membre de la ligue des femmes de l’ANC et qui a contribué à la création de la Fédération des femmes sud-africaines.
– Huda Shaarawi, militante engagée dans le combat nationaliste égyptien et pionnière du féminisme dans son pays, puisqu’elle a fondé l’Union des féministes égyptiennes en 1923.
Certaines actions menées par des femmes constituent également des faits marquants dans la lutte contre la domination coloniale. Nous en citerons ici deux, l’une en Afrique du Sud, l’autre en Côte d’Ivoire.
– 9 août 1956 : La marche des femmes (Women’s March), Afrique du Sud : cette manifestation, tenue devant les Unions Buildings (le siège du gouvernement à Pretoria) et organisée par la Fédération des femmes sud-africaines a rassemblé entre 10 et 20 000 femmes. Celles-ci protestaient contre l’application par le gouvernement de la nouvelle loi sur les laissez-passer (pass laws) dans les zones urbaines et les conséquences de cette loi sur les femmes en particulier. Durant cette manifestation, les femmes ont chanté un morceau composé pour l’occasion, intitulé Wathint’Abafazi Wathint’imbokodo (en anglais, « you strike a woman, you strike a rock »). Les femmes ont également présenté une pétition au Premier Ministre. En hommage à cet événement, le 9 août est aujourd’hui la journée des femmes en Afrique du Sud.
– Décembre 1949 : La marche sur Grand Bassam, Côte d’Ivoire : à cette occasion, 500 femmes ivoiriennes protestèrent contre l’incarcération à la prison de Grand Bassam de leurs époux ou frères, militants du Rassemblement Démocratique Africain (RDA), une fédération de partis politiques africains anticoloniaux.
En Afrique, donc, les inégalités dénoncées par les femmes étaient d’abord celles produites par l’ordre colonial. En cela, les mouvements de femmes et mouvements féministes d’Afrique diffèrent des mouvements qui ont pu apparaître en Europe ou en Amérique du Nord tout au long du XXème siècle.
Après les indépendances et notamment dans les années 1980, les inégalités dénoncées sont devenues celles de l’ordre colonial. Ainsi, les féministes africaines s’approprient le discours de l’échange inégal et discutent de son impact sur les femmes du continent. C’est aussi dans ce contexte qu’apparaît le besoin de « décoloniser » la pensée et la recherche, qui donne naissance à l’Association des femmes africaines pour la recherche et le développement en 1977.
Cela a également inspiré le féminisme panafricain. Le panafricanisme prône la reconnaissance des droits humains fondamentaux, ce qui suppose également l’égalité de genre, rendant ce mouvement tout à fait compatible avec le féminisme. En 1962, la conférence à Dar-es-Salam a donné naissance à l’Organisation panafricaine des femmes. Cela a permis la décennie des Nations-Unies pour les femmes, dans les années 1980, visant à organiser des rencontres entre Africaines, à la fois au niveau local et continental. Cela leur a permis de prendre conscience des opportunités de mener des actions ensemble et de profiter d’une visibilité politique naissante pour avancer leur agenda à une plus grande échelle.
Aujourd’hui, le panafricanisme demeure et pas uniquement en Afrique. En effet, Minna Salami, journaliste finlando-nigériane, tient le blog féministe et panafricaniste MsAfropolitan. L’américano-éthiopienne Meklit Hadero considère que le panafricanisme est une grande chance pour le féminisme. Il permettrait d’intensifier et d’élargir des luttes souvent similaires au sein du continent tout entier, d’où l’intérêt de trouver des solutions ensemble. Pour cela, elle prône une meilleure communication entre les différents pays d’Afrique, encore aujourd’hui difficile, contrairement à la communication entre les militantes féministes des diasporas.
Le désir d’émancipation et d’une meilleure représentation des femmes
En 2015, l’ouvrage Foulards et hymens, pourquoi le Moyen-Orient doit faire sa révolution sexuelle de la féministe égyptienne Mona Eltahawy fut publié. Il rend compte de la situation des femmes dans le monde arabe, avec plusieurs exemples en Afrique du Nord. Ainsi, l’auteure y confie son cheminement spirituel en tant que femme musulmane, mais elle nous informe également quant aux différentes sources d’oppression des femmes arabo-berbères, accompagnées de données chiffrées. Elle a elle-même été sexuellement agressée en 2011, place Tahrir. Les agressions sexuelles durant les manifestations ont pour but de dissuader les femmes de participer aux changements politiques, afin d’éviter la honte, voire le déshonneur de la famille. L’écrivaine lutte aussi fermement contre les mutilations génitales, qui touchent 90 % des femmes mariées en Egypte. C’est aussi le cas de l’artiste malienne Inna Modja, ayant elle-même vécu l’excision. Mona Eltahawy dénonce également l’injonction uniquement féminine à la virginité, incitant plusieurs femmes à pratiquer l’hyménoplastie, afin de sembler vierges durant leur nuit de noces.
Dans son Manifeste pour une éducation féministe, la nigériane Chimamanda Ngozi Adichie déplore aussi le fait que la sexualité féminine soit souvent associée à la honte. Elle y dénonce la déshumanisation des femmes, uniquement perçues comme des objets sexuels. Ces dernières seraient seulement utiles à “ l’appétit sexuel des hommes ” et devraient se couvrir afin de les protéger. Pour atténuer le tabou régnant autour de la sexualité féminine, la féministe ghanéenne Nana Darkoa Sekyiamah a créé un blog, intitulé Adventures from the Bedrooms of African Women, ayant remporté le prix du meilleur blog en 2013 et en 2014, au Ghana Blogging and Social Media Awards. Parallèlement, des femmes revendiquent le droit de se vêtir comme elles le souhaitent, qu’elles soient considérées comme trop ou pas assez couvertes. C’est le cas de l’artiste marocaine Zainab Fasiki, dénonçant le harcèlement sexuel dans le royaume et luttant contre les stéréotypes, touchant toutes les femmes, quelle que soit leur tenue vestimentaire. Cela rejoint la BD de Qahera, super-héroïne féministe, égyptienne, musulmane et voilée. Cette dernière critique à la fois des personnes jugeant les femmes portant un foulard et celles dévalorisant des femmes considérées comme insuffisamment vêtues.
Cependant, quelle que soit l’apparence des femmes, ces dernières sont souvent sous-représentées. Ainsi, en 1995 et en Ouganda, la féministe Mary Karooro Okurut a fondé l’ONG Femrite, visant à cesser l’invisibilisation des femmes dans l’édition en Afrique de l’Est. La ghanéenne Nana Darkoa Sekyiamah a également rédigé Les femmes dirigeant l’Afrique, discussions avec des femmes africaines inspirantes, publié en 2012 et visant à donner de l’espoir aux femmes du continent, par le biais d’anecdotes personnelles racontées par des femmes puissantes de toute l’Afrique et venant des milieux politique et artistique. La féministe Aisha Fofana Ibrahim veille également à une meilleure représentation des femmes, étant présidente de l’ONG 50/50 Sierra Leone et travaillant sur la participation politique des femmes dans ce pays. La nigériane Amina Mama a également fondé le journal Feminist Africa, publié par l’African Gender Institute de l’université sud-africaine de Cape Town. Ce journal propose une perspective afrocentrée du genre, afin de prendre en compte les spécificités des femmes africaines.
Des féminismes religieux
L’Afrique est aussi un continent essentiel quant à l’émancipation féminine au nom de la religion. En effet, certaines femmes n’hésitent pas à s’approprier les textes religieux afin de lutter contre les violences sexistes. En interprétant les textes de façon féministe, visant à s’assurer la protection divine, la religion est un moyen pour ces femmes d’initier un changement dans la société, dans laquelle la religion peut souvent être mentionnée afin de justifier des violences à l’égard des femmes.
Certaines figures très importantes du féminisme musulman sont marocaines. Asma Lamrabet est par exemple à la fois médecin, écrivaine et féministe. Elle a écrit de nombreux ouvrages touchant à l’égalité entre les femmes et les hommes, comme Islam et femmes : les questions qui fâchent, publié en 2016. Elle estime que les interprétations de la loi islamique sont patriarcales, en raison d’un manque de femmes dans les instances religieuses. Elle est ainsi devenue directrice en 2011 du Centre des études féminines en islam, visant à réinterpréter les textes religieux en faveur du droit des femmes. Fatima Mernissi est également très connue. Cette féministe a écrit de nombreux ouvrages, sur différents sujets touchant à la fois à l’islam, au féminisme et à la modernité, comme Rêves de femmes, une enfance au harem, publié en 1998. Elle avait pour ambition de montrer que l’islam n’était pas fondamentalement oppressif à l’égard des femmes, mais que cela est devenu nocif pour cette partie de l’humanité sous les Omeyyades. Elle considère le prophète Muhammad comme une grande figure de l’émancipation, incitant les êtres humains à se révolter contre toutes les injustices, dont la misogynie. Elle a également beaucoup travaillé sur les interprétations des hadiths (paroles du prophète), afin de montrer que certains d’entre eux, utilisés à l’encontre des femmes, étaient retenus malgré une chaîne de transmission non recevable. Elle ne s’attaque pas uniquement à la misogynie présente au sein des communautés musulmanes, mais également à celle orientaliste des pays ayant colonisé des espaces musulmans. En effet, dans Harem et Occident, publié en 2001, la féministe explique qu’il s’agissait uniquement d’un lieu exclusivement réservé aux femmes, alors que dans l’imaginaire collectif et occidental, cet endroit est forcément hypersexualisé. Cela est d’ailleurs symbolisé par la figure de Shéhérazade, ayant réussi à cesser un féminicide à l’aide de son intelligence dans les Mille et une Nuits, mais demeurant hypersexualisée dans les esprits occidentaux.
Fatima Ahmed Ibrahim, dont le père était imam, est aussi une grande féministe soudanaise et du monde arabe. Elle a participé à la fondation de l’Union des Femmes Soudanaises en 1952, visant à défendre les droits civiques des femmes. Rédactrice en chef du journal La voix de la femme, elle devient une grande figure de la révolution soudanaise en 1964, ayant pour ambition de chasser Ibrahim Abboud du pouvoir, qu’il détenait par le biais d’un putsch militaire. Communiste, elle devient ainsi la première femme élue députée au Soudan et dans le monde arabe en 1965, les femmes ayant le droit de vote et d’éligibilité suite à la révolution. Elle est plusieurs fois arrêtée, en raison de son engagement politique allant à l’encontre des partis au pouvoir, dont elle dénonçait le sexisme. Cette femme était profondément pieuse, tout en s’attirant les foudres des anciens membres du parti du Front national islamique, en raison de sa menace à l’égard des droits des femmes. Fatima Ahmed Ibrahim n’hésitait donc pas à affirmer : “ On a décidé d’apprendre l’Islam pour montrer aux fondamentalistes que cette religion ne contenait pas l’exploitation de la femme”. Cela lui semblait essentiel, puisque plusieurs droits des femmes lui furent refusés “ au nom du Coran ”, regrette-t-elle. Fervente militante féministe, elle ne souhaitait rien céder concernant les droits civiques, l’égalité salariale, l’éradication de l’analphabétisme ou encore la violence conjugale. Son fervent combat pour l’éducation se trouve dans la lignée de celui de Nana Asma’u, au XVIIIème siècle. Fille du calife Usman Fodio, elle et son frère dirigèrent le califat de Sokoto. Elle en profita pour fonder un réseau nommé Yan Taru afin de former des femmes pour qu’elles puissent enseigner aux femmes vivant dans des zones enclavées du califat. Elle était également une grande poétesse, utilisant les textes sacrés afin de défendre la cause des femmes, grâce à son éducation coranique.
Il existe également, sur le continent africain, des féminismes chrétiens. En effet, Leymah Gbowee en est l’une des grandes figures au Liberia. Surnommée “ guerrière de la paix ”, elle est l’auteure de l’ouvrage Que nos pouvoirs soient puissants : comment la communauté de femmes, la prière et le sexe ont changé une nation en guerre, publié en 2011. Elle prônait le pacifisme en mobilisant des femmes, sans distinction de religion, afin de prier, vêtues de blanc, et en les ayant convaincues de participer à la grève du sexe. Elle a également beaucoup apporté son soutien aux enfants-soldats, incitant toutes les femmes à faire de même. Cela a contribué à mettre fin au mandat du président Charles Taylor, contraint de quitter le pouvoir en 2003. Leymah Gbowee est ainsi devenue Prix Nobel de la Paix en 2011, affirmant croire fermement que “ Jésus était féministe ” et prônant aujourd’hui les droits des femmes, en apportant son soutien à “ toutes les féministes ”.
Les militantes des diasporas africaines
Alors que la nigériane Chimamanda Ngozi Adichie affirmait ne pas comprendre le terme “afroféminisme”, de nombreuses femmes sont fières de se revendiquer de ce mouvement. En effet, ce dernier a pour ambition de lutter contre les discriminations spécifiques aux Afro-descendantes, mêlant à la fois le genre et la race, mais aussi d’autres discriminations. Ce mouvement existe dans de nombreux pays occidentaux, comme nous le montre la blogueuse Minna Salami, ainsi que les nombreuses afroféministes françaises.
Ces spécificités ont été dénoncées dans le documentaire “Ouvrir la Voix”, réalisé par Amandine Gay. Ce film a été attendu avec impatience par de nombreuses femmes noires vivant dans des milieux majoritairement blancs. Ainsi, ces femmes y dénoncent la “misogynoire” venant des hommes, quelle que soit leur couleur, de coreligionnaires juifs, comme Rachel Khan, ou musulmans, à l’instar de Ndella Paye. Certaines femmes témoignent également de l’homophobie et de la difficulté d’être à la fois noire et lesbienne, comme l’affirmait la réalisatrice.
Le colorisme est également un sujet très important dans ce documentaire. Il s’agit du fait que des personnes noires en discriminent d’autres en fonction de la gradation de la couleur de leur peau. Ainsi, plus une personne est claire, plus elle sera valorisée et plus une personne est foncée, plus elle subira des violences. Le colorisme incite donc de nombreuses femmes à utiliser des crèmes éclaircissantes, malgré leur dangerosité, afin de correspondre aux critères de beauté. Certaines féministes dénoncent aussi le racisme au sein de la famille. C’est le cas de la blogueuse et youtubeuse La toile d’Alma, afroféministe et métisse, évoquant quelques anecdotes liées à sa famille blanche.
Cependant, bien que ce documentaire soit vite devenu une référence dans l’afroféminisme et dans le féminisme intersectionnel, de façon générale, plusieurs autres afroféministes sont très influentes.C’est le cas de l’écrivaine, journaliste et militante Rokhaya Diallo. Accompagnée de la photographe Brigitte Sombié, elle est à l’origine de l’ouvrage Afro !, ayant également donné lieu à une exposition du même nom. Cela a pour ambition d’informer quant aux difficultés et au plaisir d’arborer une chevelure naturelle, rappelant un lien avec l’Afrique. La texture des cheveux semble ainsi poser des questions politiques. Il s’agit de tout le mouvement nappy, associant natural (naturel) et happy (heureux). Cela a inspiré l’association SciencesCurls, née à Sciences Po Paris et organisant de nombreux événements autour de la question politique des chevelures invisibilisées en raison de leur texture.
Ces différentes injustices ont incité des femmes noires à se mobiliser et à créer le collectif afroféministe Mwasi, en 2014. « Notre afroféminisme n’est pas un ensemble monolithique », peut-on lire sur leur site. Ce collectif vise donc à créer un espace de discussion, de réflexion et d’action pour et par les femmes noires, dans toute leur pluralité. Elles ont pour ambition de lutter contre toutes les discriminations qu’elles vivent en tant que femmes noires et touchant à leur classe, sexualité, santé ou religion.
Bien que les afroféministes prennent totalement en compte la dimension raciste de leur condition, leur réflexion peut aussi concerner des personnes non noires. C’est le cas de la blogueuse Kiyémis, étant sûrement l’une des grandes figures luttant contre la grossophobie en France. L’auteure du blog Le Kitambala Agité est aussi très connue dans sa lutte contre le VIH-Sida. La youtubeuse Keyholes & Snapshots permet aussi de fournir plusieurs informations quant à l’endométriose, étant une maladie gynécologique encore sous-estimée dans le champ médical. Elles peuvent donc s’adresser à toutes les femmes, tout en veillant bien à préserver un regard afrocentré sur leur condition, entraînant des formes différentes de discrimination sexiste ou raciste.
Il existe également des mouvements féministes de Nord-Africaines. C’est le cas des blogueuses de Mouqawamet – Tizeddamin, visant à procurer des ressources quant aux résistances de femmes arabes et berbères. Ce site ne se concentre donc pas uniquement sur l’Afrique du Nord, bien que cette partie du monde y ait une place importante. La militante Wissale Achargui a également longuement travaillé sur la question des femmes de la diaspora maghrébine et sur la figure de la « beurette », à savoir une femme d’origine maghrébine hypersexualisée, aujourd’hui perçue comme infréquentable, mais symbolisant durant plusieurs années l’espoir de l’intégration des Nord-Africains en France, comme le déplorait Najat Vallaud-Belkacem, en opposition aux hommes d’origine maghrébine. Les mouvements féminins et féministes des Africaines sont donc loin de former un bloc monolithique.
Article rédigé par :
Magali Christophe
Diplomée d’une Licence d’Histoire / Sciences Politiques,
à l’Université Panthéon-Sorbonne, Paris 1.
Shehrazad Siraj
Etudiante en Histoire / Sciences Politiques,
à l’Université Panthéon-Sorbonne, Paris 1.
Amine
Etudiant en Histoire
à l’Université de Panthéon-Sorbonne, Paris 1.
Corrigé et mis en forme par:
Abir Nur
Coordinatrice du Journal d’ESMA.
Diplomée d’une Licence d’Histoire / Sciences Politiques,
à l’Université de Panthéon-Sorbonne, Paris 1.
Akli Aouaa
Etudiant en Histoire,
à l’Université de Panthéon-Sorbonne, Paris 1.
Sources
Boyd Jean, Mack Beverley, Educating Muslim Women : The West African Legacy of Nana Asma’U 1793-1864, 2013
Destremau Blandine, Verschuur Christine, “Féminismes décoloniaux, genre et développement. Histoire et récits des mouvements de femmes et des féminismes aux Suds”, Revue Tiers Monde, 2012/1 (n°209), pp. 7-18
Diabaté Henriette, La marche des femmes sur Grand-Bassam, 1975, Abidjan, NEA
Eltahawy Mona, Foulards et hymens, pourquoi le Moyen-Orient doit faire sa révolution sexuelle, 2015
Feminist Africa : numéros de 2014 et 2015 “Pan africanism and feminism”
Keita Aoua, La vie d’Aoua Kéita racontée par elle-même, une autobiographie, 1975, Paris, Présence Africaine
Lamrabet Asma, Islam et femmes, les questions qui fâchent, 2016
Mama Amina, “Editorial”, Feminist Africa, 2002 (n°1)
Mernissi Fatima, Le harem et l’Occident, 2001
« Mouvements féministes en Afrique », Entretien avec Fatou Sow, Revue Tiers Monde, 2012/1 (n°209), pp. 145-160
Ngozi Adichie Chimamanda, We should all be feminists, 2014
Sow Fatou, « Femmes, socialité et valeurs africaines », Notes Africaines, n°168, Institut fondamental d’Afrique noire, Université de Dakar, pp. 105-112
Sites Internet
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Fr.unesco.org/womeninafrica
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