Le matriarcat en Afrique, un vaste sujet tant sur le thème que sur l’espace et le temps qu’il englobe. Compte tenu de la diversité culturelle en Afrique, l’entreprise nécessite une énergie et une recherche qui peut prendre le temps d’une vie. Cependant nous proposerons ici d’effleurer le sujet et de vous faire découvrir quelques exemples de sociétés matriarcales africaines.
Dans les années 1960, Cheikh Anta Diop, l’illustre savant-scientifique sénégalais, dans son fameux ouvrage L’unité culturelle de l’Afrique noire : domaines du patriarcat et du matriarcat dans l’antiquité classique, affirme avec conviction que les sociétés africaines étaient essentiellement matriarcales. C’est l’arrivée des religions monothéistes d’une part et du colonialisme européen d’autre part qui a perturbé une organisation sociale dans laquelle la femme détenait une place centrale sinon plus importante que celle de l’homme. Un système qui remonterait à la néolithisation, la période à laquelle les humains sont passés de l’état de nomades à l’état de sédentaires pour un ensemble de raisons complexes.
Le terme de matriarcat est plus récent que le concept en lui-même. Il apparaît chez les penseurs européens au début de l’époque contemporaine. Sa paternité est souvent attribuée à Johann Jakob Bachofen, (1815-1887), dans Das Mutterrecht. Et la définition est retenue académiquement jusqu’à récemment, on peut noter par exemple :
L’English Oxford Dictionary dans son édition de 1983, définit le matriarcat en explicitant le rôle de la matriarche (matriarch) : A women having the status corresponding to that of a patriarch, in any sense of the word. In various nuances, now usually jocular. (1)
La dernière partie de cette définition fait état d’un phénomène intéressant : même une définition académique intègre le fait que la notion est loin d’être concevable dans les sociétés patriarcales et qu’au contraire, elle est tournée en dérision.
Cette tendance à ironiser l’idée de matriarcat est une conséquence d’une peur enracinée depuis longtemps dans l’histoire, d’une inversion radicale des rôles notamment dans les sociétés gréco-latines. Par exemple, le Mythe des Amazones, met en scène un peuple de femmes guerrières que la tradition situe sur les rives de la Mer Noire, qui ne se contente pas de marginaliser les hommes mais qui va jusqu’à les exclure de la manière la plus radicale qui soit : la mort. Encore plus parlante, l’Assemblée des Femmes d’Aristophane, comédie antique profondément hostile envers les femmes, tourne en dérision l’idée d’intégrer les femmes à l’exercice du pouvoir politique à Athènes. En effet, il y est mis en scène une assemblée composée exclusivement de femmes réunies sur l’agora pour discuter de la vie de la cité mais ne sont dépeints que des débats qui suscitent le rire par la futilité, la frivolité et la légèreté des délibérations.
Comme dit précédemment, le terme matriarcat à proprement parler est employé pour la première fois au XIXe siècle, il renvoie étymologiquement à mater en latin qui signifie mère et arché en grec qui signifie commandement. Il est à l’origine défini sur les mêmes critères que le patriarcat pris en miroir : pouvoir politique, économique, religieux et social de la femme, ainsi qu’un rôle prééminent au sein de la famille. Le matriarcat est donc selon ces définitions une alliance entre gynocratie et matrilinéarité tout comme le patriarcat renvoie à une phallocratie et une patrilinéarité.
Cette définition reste cependant artificielle du fait qu’il n’existe empiriquement aucun exemple de société matriarcale où la femme joue un rôle comparable à celui de l’homme dans les sociétés patriarcales. De même, au niveau familial, il n’existe pas de version féminine du Pater Familias défini initialement comme un modèle où tous les biens meubles et tous les êtres humains du foyer appartiennent juridiquement au père dont la transmission des pouvoirs politiques et des biens dépend exclusivement. En outre, notre modèle gréco-romain du patriarcat marginalise la femme tant sur le plan social que familial.
Face à une cette artificialité et dans le souci de donner une définition du matriarcat qui rende compte de la réalité, plusieurs intellectuels se sont penchés sur la question en revenant d’abord sur les représentations sociales à l’époque néolithique où le culte de la déesse mère a joué un grand rôle. Ceci amène Cheikh Anta Diop dans L’unité culturelle de l’Afrique noire à conclure que « Le régime du matriarcat proprement dit est caractérisé par la collaboration et l’épanouissement harmonieux des deux sexes, par une certaine prépondérance même de la femme dans la société due à des conditions économiques à l’origine, mais acceptée, même défendue par l’homme ». Cette réactualisation de la notion a conduit à une évolution de la définition académique du matriarcat. La version de 2017 de l’English Oxford dictionary définit cette fois la matriarch comme : A woman who is the head of a family or tribe (or) an older woman who is powerful within a family or organization.(2) Ce premier rappelle aussi que le terme s’est construit à l’origine au XVIIe siècle comme un néologisme basé sur une fausse analogie avec le patriarcat.
Ces trois éléments accompagneront ainsi toute notre réflexion. Il s’agira de rechercher si dans les sociétés africaines étudiées il existe ou a existé un matriarcat au sens d’une prééminence de la femme dans les représentations religieuses, dans la famille et dans la société.
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Les femmes dans les représentations religieuses
Le pouvoir religieux étant l’une des caractéristiques de la domination d’un genre sur l’autre, le pouvoir des femmes dans la religion est donc d’une importance primordiale pour comprendre le matriarcat. C’est donc en toute logique que notre étude débute par l’analyse de la place des femmes à travers le temps dans les religions africaines. Pline l’ancien écrit dans son Histoire naturelle « En Afrique romaine, personne n’entreprend rien sans avoir, au préalable, évoqué Africa ». Cet auteur latin du Ier siècle fait référence à la déesse berbère Ifri ou Ifru latinisée en Africa qui donne son nom par extension au continent. Elle est pour certains la déesse du feu, mais au-delà de l’élément qui lui est associé, en tant que divinité berbère, elle reflète une sacralisation des éléments naturels auxquels les Berbères vouent un culte. Le nom du continent étant l’extension du nom de cette déesse, il montre d’une part l’importance qu’elle avait pour les berbères car les romains l’ont choisi parmis un panthéon large pour nommer l’Afrique du nord. D’autre part une déesse importante représentée par des traits de femme, montre l’importance des femmes en général dans les sociétés berbères.
Les femmes dans les représentations des religions néolithiques
L’Homme vient de la terre et y retourne. Ce processus de dissociation puis de fusion à lui seul résume le cycle de la vie à l’échelle de l’Homme. Un paradigme populaire qui a survécu jusqu’à nos jours, qui a forgé les premières religions humaines. Ce paradigme s’appuie sur l’existence d’une entité réelle qu’est la terre associée à la figure de la mère qui prend allégoriquement une forme divine de femme : la déesse mère. Ses deux caractéristiques majeures sont la fertilité et la fécondité et cela n’est pas anodin car la terre nourrit les Hommes et la femme leur permet de se perpétuer. En outre, la déesse mère est révélatrice de l’importance qu’accordent certaines sociétés néolithiques à l’agriculture d’une part et à la femme d’autre part. La néolithisation (3) (-9000 / -8000), passage entre le paléolithique au néolithique avec un ensemble de modifications conséquentes dans les sociétés humaines, entraîne avec elle une modification des rapports entre les genres. Cheikh Anta Diop avance que l’homme qui s’est consacré à la chasse se voit obligé pour des raisons complexes de se convertir à l’agriculture qui était alors le domaine des femmes. Le culte de la mère et de la terre s’en trouve dès lors fusionné pour former une entité divine reflétant la prédominance des femmes dans les sociétés humaines. Les exemples d’une telle divinité en Afrique sont difficiles à trouver, cependant nous pouvons l’illustrer par des exemples antérieurs et relatifs tels que la déesse mère des Igbos appelée Ani ou Ana; la déesse mère chez les Ashantis appelée Asase Ya ou encore la déesse de la fertilité des Zoulous, la déesse Mbaba Mwana Waressa. La théorie des déesses mères révélatrices ou créatrices de sociétés matriarcales primitives est discutée et critiquée par les anthropologues et les archéologues spécialistes de l’époque;, faute d’avoir des sources suffisantes, le problème n’est pas prêt d’être résolu. L’une des premières évocations est celle de Bachofen qui affirme que le culte de la déesse mère est révélateur d’une matrifocalité préhistorique. Maria Gimbutas va plus loin en avançant que c’est la preuve de l’existence de sociétés où la femme à une domination sociale et religieuse (société matriarcale primitive). Pour l’archéologue Jacques Cauvin, l’existence d’un culte d’une déesse mère ne prouve rien quant à une quelconque domination de la femme sur le champ social et Alain Testart, l’anthropologue français, réfute point par point cette théorie en critiquant les preuves d’une existence de culte de la déesse mère. Toujours est-il que Cheikh Anta Diop fonde son étude sur le matriarcat sur une existence qui remonterait au néolithique.

L’importance des femmes dans l’Egypte antique
Nous retrouvons quelques centaines d’années plus tard, la figure de la mère dans le panthéon égyptien. Rappelons que l’une des premières thèses soutenue à la Sorbonne par Cheikh Anta Diop consistait à démontrer que l’Egypte était une civilisation négro-africaine (4), une conception qu’il rappelle dans son article pour l’Histoire générale d’Afrique publié par l’UNESCO. De grandes déesses d’une importance de premier plan sans aller jusqu’à affirmer dans l’absolu qu’elles sont des divinités dominantes, se font légion. De la déesse Nout, en passant par Maat, Bastet ou Isis, de nombreuses figures divines sont associées pour certaines à la fois à une figure animale et à la fois à la figure de la femme. Ici, nous développerons seulement l’apparence de femme que revêt la sacralisation de valeurs sociales telles que la justice, la féminité, la maternité ou encore la joie du foyer.

La déesse Nout tient une place centrale dans la cosmogonie égyptienne, du moins dans la mythologie héliopolitaine (5). Outre le fait qu’elle soit la fille du dieu Shou et de la déesse Tefnout, eux mêmes enfants de Atoum, créateur auto-créé de l’univers à partir de l’océan primordial, elle est la déesse de la voie lactée, mère des étoiles et protectrice des Hommes. Selon la variante la plus courante de la cosmogonie égyptienne, Nout avale tout les soirs le soleil qui se régénère dans son corps pour en ressortir le matin afin de recommencer le cycle. Quant on sait l’importance que revêt le soleil pour les égyptiens, son rôle dans sa régénération cyclique lui confère un statut de premier plan. Ceci étant dit aucun culte particulier ne lui est accordé, et ce malgré le fait qu’elle prenne de plus en plus d’importance au fur et à mesure du temps qui passe et du basculement successif des centres de pouvoirs de l’ancien au nouvel empire. Il est à noter qu’il existe plusieurs cosmogonies en Egypte et il est lacunaire de les recouper tant que les sources exploités par les égyptologues sont disparates. Ce qui n’empêche pas que le rang de la déesse Nout, dont la croyance était prise au sérieux, reflète dans une certaine mesure, la place de la femme dans la société de l’Egypte antique.

Une autre déesse, plus récente que Nout, prend toutefois une ampleur telle qu’elle réussit à se mesurer et à voler les pouvoirs du dieu créateur Atoum. Son rôle mis en parallèle avec le monde temporel, nous indique toute l’importance des femmes dans la société égyptienne. Cette déesse c’est Isis. Elle est connue comme la grande sorcière ou la déesse des mères. Dans la mythologie héliopolitaine, Isis est la fille de Nout et de Geb, sœur et épouse d’Osiris le bienfaisant, dieu de l’agriculture et de la religion. Isis et Osiris avaient une sœur et un frère : Nephtys et Seth. Ce dernier, dieu malfaisant associé au désert, jalouse son frère et complote contre lui. Il réussit à abattre Osiris et le découpe en plusieurs morceaux qu’il jette dans le Nil. Dans un premier temps Isis pleure la disparition de son époux, et selon la mythologie héliopolitaine, c’est à ce moment que la première crue du Nil apparue. Après avoir recherché tous les morceaux et les avoir regroupés grâce à sa magie en partie dérobée au dieu créateur Atoum, elle redonne vie à Osiris. Seulement voilà, il manquait un morceau du corps d’Osiris : son pénis ! Encore une fois, grâce à sa magie elle lui en crée un artificiellement et de leur union naît Horus, dieu protecteur des pharaons. De cette histoire on retient trois éléments importants qu’on peut transposer à la société égyptienne : le premier étant les larmes d’Isis qui créent la première crue du Nil, un événement qui a une importance capitale dans le développement de l’Egypte antique. En effet sans la crue du Nil, il n’y aurait pas eu de bande fertile qui l’accompagne de sa source au Delta donc pas d’agriculture possible. Le second étant qu’elle a redonné sa virilité à Osiris, en somme la source de la virilité des hommes égyptiens sont les femmes. Enfin le dernier élément réside dans le fait qu’elle a donné vie au dieu protecteur du pharaon, quand on sait l’importance de ce dernier qui est à la jonction du monde temporel et du monde spirituel, l’importance d’Isis prend de l’ampleur.
La religion occupant une place centrale dans la vie des égyptiens, leur mythologie devient de fait le reflet des aspects socio-culturels de leur civilisation. Compte tenu des places qu’occupent les déesses dans cette mythologie et recoupées avec des travaux d’anthropologues, égyptologues ou encore d’historiens, on peut aisément constater que la femme occupe une place primordiale dans l’imaginaire collectif des égyptiens, ce qui laisse croire que c’était également le cas dans le monde temporel.
Les femmes et les religions monothéistes
En ce qui concerne les religions monothéistes bien plus récentes sur le continent (exception faite pour l’Église orthodoxe d’Ethiopie), elles ont aisément été tentées par la critique simple en disant que la femme a une place mineure dans les textes sacrés et de manière générale dans l’imaginaire sacré de ces religions. Or verser dans une telle critique c’est oser la simplicité absurde, car aucun des trois textes sacrés, que ce soit l’Ancien Testament, le Nouveau Testament ou le Coran, n’ordonnent la réduction de la femme au statut d’éternelle mineure;, seules les interprétations des hommes parviennent à ces déductions. Malek Chebel, anthropologue et islamologue ayant traduit le Coran, formule la conclusion suivante en ce qui concerne l’Islam : le statut des femmes dans les sociétés musulmanes n’est pas édicté par le Coran mais par les interprétations faites par les hommes et par superposition aux sociétés bédouines du VIIe siècle. Aussi ni le prophète Mohammed, ni le Coran n’ont incité à réduire la femme à un statut de mineure. Pour la Bible, il s’agit plus au moins de la même chose :, hormis l’Église orthodoxe d’Ethiopie, le christianisme qui s’est diffusé par les missionnaires vecteurs de l’entreprise coloniale, est fortement imprégné de la culture latine fortement patriarcale. Rappelons simplement que le patriarcat est formé de deux mots Pater en latin pour père et Arché en grec pour commandement, et ce commandement sévit sur toute la société romaine, à commencer par la famille où le Pater familias possède tout dans le foyer : biens matériels, enfants, esclaves et femmes.

Par ailleurs, dans l’imaginaire musulman du côté maghrébin, un soupçon d’un matriarcat passé transparaît par la figure de la main de Fatma aussi appelée khamssa ou khmissa. Main de la fille du prophète dont l’usage remonte aux anciennes sociétés berbères représentant la main de la déesse de la fertilité Tinnit, adoptée et adaptée à l’Islam, en attribuant cette fameuse main à la fille du prophète. C’est la main qui protège de la convoitise et de la jalousie inhérente de la société car ces derniers défauts sont considérés comme des caractéristiques diaboliques figurant dans les sept pêchés capitaux qui peuvent s’emparer de n’importe qui et à tout moment.

Du point de vue de la représentation féminine dans la religion chrétienne, la figure sacrée de la mère encore une fois transparaît en la personne de la vierge Marie, qui prend plus ou moins d’importance selon les Églises. En cela Marie ou Mariam, présentent comme caractéristique intéressante d’avoir donné vie au prophète Jésus sans avoir eu recours à un homme et par intervention divine.
La divinité féminine a donc occupé une place prépondérante dans les croyances religieuses en Afrique. La représentation de la déesse mère étant fortement liée à l’image que ces sociétés ont eu des femmes , la question reste à savoir laquelle a influencé l’autre. Les croyances ont-elles sacralisé le rôle féminin ou au contraire est-ce le statut social de celles-ci qui a façonné l’icône religieuse ? La légitimité de ce questionnement repose sur les faits observés; en effet les femmes, dans nombre de sociétés, se sont imposées comme rouage central du microcosme que représentait la famille.
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La femme, rouage central de l’unité de mesure de base de la société : la famille
Le continent Africain, riche de son passé historique, a été marqué par de nombreuses figures féminines fortes. Les femmes ont endossé de nombreux rôles dans le façonnement des différentes civilisations qui ont traversé le berceau du monde. De la déesse mère aux manifestations de la mère protectrice dans les représentation religieuses, qu’elles soient primitives, animistes ou monothéistes, la figure de la mère est importante voir centrale pour pouvoir prétendre à une société matriarcale ou encore déceler des restes de celle-ci. En outre, ces représentations sacrées de la femme influencent d’une façon certaine le rôle d’une femme au sein de la société, lui permettant d’avoir un pouvoir religieux, économique, culturel ou encore politique, fût-il des plus relatifs ! Ce que l’on peut encore une fois observer c’est la prédominance de la figure de la mère au sein de ces sociétés que l’on pourrait par facilité qualifier de matriarcales. Laissons-nous verser quelque peu dans le pléonasme : la mère est une femme, c’est indéniable et avant qu’elle ne le devienne, elle fut jeune épouse ou en tout cas en couple avec un homme. C’est dans l’équilibre de ces rapports avec l’homme que réside l’essence même d’une société matriarcale puisque l’unité de base de la société est la famille et que l’unité de base de la famille est le couple traditionnel, du moins dans les sociétés africaines. C’est donc dans ces rapports de couple hommes-femmes que l’on peut se pencher pour trouver initialement une forme de matriarcat.
La parité dans les alliances matrimoniales
Le premier questionnement que l’on peut poser serait celui des modalités d’une alliance matrimoniale, plus communément appelée « mariage ». En effet le consentement de la femme et la possibilité du choix du conjoint sont deux conditions importantes pour l’équilibre des liens conjugaux, bien que l’on puisse retrouver des alliances où l’avis de la femme n’a que eu de valeur et que celle-ci retourne les rapports de force à son avantage, ce dernier cas montrerait au contraire la présence du patriarcat à la racine de la société. Bien des cultures africaines consacrent la parité dans les alliances matrimoniales comme un principe sacré, ces mêmes sociétés ne s’en trouvent pas moins fortement influancées du point de vue des représentations des femmes. Celles-ci n’étant plus perçues comme comme subordonnées aux hommes mais comme leurs égaux, de même pour leur mère chez qui on va quérir de la sagesse et du réconfort.

Entre mythe et réalité, les récits de guerrières cheffes de clans ne manquent pas dans le continent, comme en attestent les récits de Tin Hinan, la princesse Berbère. Cette population a depuis l’antiquité institué la place de la femme comme l’égale de l’homme. Jusqu’à nos jours les tribus Touareg – peuple Berbère nomade d’Afrique du Nord et Afrique sahaelienne- sont régies par un système matriarcal affirmé par l’Achak, code de conduite qui leur est propre. Cet ensemble de règles permet d’interdire toute violence -physique ou morale- et le respect des enfants, des personnes âgées et des femmes, au risque d’être déchu de la tribu. Bien au delà, il reprend un ensemble d’éléments culturels importants dans les sociétés berbères en vue de s’adapter à des environnements naturels hostiles et à affronter des situations périlleuses imposées par ce même environnement. Ce code transposéer par exemple aux sociétés Kabyles, Chaouis, Chleuhs ou Rifains est valide voire déjà en application, à ceci près que chez les touaregs il y’a une codification explicite. En outre il reprend une hiérarchisation classique des sociétés berbères que l’on peut retrouver dans une part plus relatives chez d’autres populations africaines telles que les Peuls où la femme dispose d’un ensemble de droits sacrése équivalents voir supérieurs à ceux de l’homme.

En ce qui concerne l’alliance matrimoniale, chez ce peuple nomade, même suite au mariage, l’épouse garde l’entière propriété de ses biens et son consentement est la condition première pour que son mari en dispose. Les conditions préalables pour un mariage touareg est le consentement mutuel. Si les touaregs pratiquent le mariage préférentiel sur recommandations des parents, alliance entre cousins de premier degrés ou d’un degré plus éloigné, il n’en reste pas moins que c’est la femme qui a le dernier mot. Pour ce faire, un garçon rend visite fréquemment à une fille dans sa tente le soir et subit un ensemble d’interrogations et de devinettes qui ont pour but de jauger sa perspicacité. Si le garçon est approuvé par la fille, elle lui remet alors un objet personnel valant preuve de ce choix. Cependant le même garçon approuvé peut se faire supplanter par un rival et il est possible pour la jeune fille de changer plusieurs fois d’avis. Une fois que le choix est validé par les deux parties, les parents du garçons prennent contact avec les parents de la fille pour se mettre d’accord sur l’organisation du mariage, une cérémonie qui est souvent aux frais de la communauté où les chants accompagnent les festivités du début à la fin. Une fois le mariage scellé, il appartient aux parents du garçon de fournir ce que l’on peut comparer à une dot , les touaregs nomme cette compensation matrimoniale la Taggalt. Une compensation qui peut-être reprise après le divorce. Par ailleurs les femmes comme les hommes peuvent demander le divorce indépendamment de leurs familles et sans aucune autre forme de coercition, cependant comme les Touaregs sont devenus par la force des choses musulmans et que le divorce y est interdit, la seule raison valable et valide pour prononcer une telle sentence est l’adultère. Il faut toutefois préciser qu’il est formellement interdit de quitter une femme enceinte.
La femme comme cheffe de famille
« Former un homme c’est former un individu, former une femme c’est former toute une génération », ce proverbe ghanéen fait référence au rôle important qu’une femme ou une mère peut avoir dans la formation de nouvelles générations.

Nombres de cultures initialement matriarcales en Afrique attribuent aux femmes le rôle de formation personnelle et intellectuelle des enfants, ainsi que des jeunes. La femme est première responsable des enfants, elle joue le rôle de tutrice comme de modèle pour la société. Parmi les hommes bleus, la femme est en charge de transmettre l’éducation aux générations suivantes, qu’il s’agisse de l’oralité ou de l’écriture du dialecte traditionnel. Au sein des Touaregs, l’influence de la figure féminine se justifie par le fait qu’elle est non seulement le pilier de la famille mais également celui la communauté. La figure de la mère chez les touareg a pour rôle de perpétuer ce que Hampâté-Bâ nommait la tradition vivante, ou tradition orale, soit l’ensemble de savoirs individuels comme collectifs transmis et enrichis de génération en génération. Ce savoir peut être dispensé de façon informelle comme au cours de rites initiatiques. Cet enseignement est très général, il englobe les codes de comportements en société comme les formations les plus scientifiques. Une transmission qui passe souvent par le proverbe et les contes mais pas seulement : il peut s’agir aussi de savoirs purement empiriques ou techniques. Ce rôle est confié souvent aux matriarches, soit aux femmes qui a la responsabilité, et qui sont reconnues comme cheffes de leur famille élargie. A ce titre, les femmes sont aussi responsables de tous les aspects de la vie des membres de la famille, ce qui ne signifie pas pour autant qu’elles peuvent user de son pouvoir de façon tyrannique mais que son avis et ses recommandations sont recueillies avec le plus grand sérieux. La matriarche est la tête pensante de la famille : elle subvient à ses besoins et en gère le budget. Par exemple dans les villages Kabyles, une autre population berbère, la matriarche était celle qui s’assurent que les greniers soient suffisamment garnis pour passer l’hiver. C’est le principe que Pierre Bourdieu, au cours de l’une de ses premières études anthropologiques, a caractérisé de “société inversée”. L’homme est le chef de famille et seul dépositaire de droits politique sur le champ social et a contrario la femme est seule maîtresse du foyer. Deux sociétés coexistent à des échelles bien différentes dont la jointure est le seuil de la maison qui sert alors de SAS (10), sorte de jointure entre deux mondes mutuellement hermétiques.

Au delà du cercle familial, la femme peut avoir un rôle important sur le champ social qui est accompagné d’une autorité reconnue par les membres de la communauté qu’ils soient jeunes ou vieux, hommes commes femmes. Pour exemple, la matrone et la guérisseuse sont des piliers pour les communautés qui vivent dans des environnements isolées tel que les hautes montagnes, la brousse, les forêts tropicales ou encore le désert. La matrone est en charge de faire accoucher les femmes et la guérisseuse en plus de cette mission, sert aussi de médecins pour soigner les petits maux et a effectué certains rites de passage tel que l’excision ou encore des rites magiques. Des rôles qui sont traditionnellement transmis de générations en générations dans certaines cultures tel que chez les Seereer, population d’Afrique de l’Ouest principalement présente au Sénégal. En outre, ces femmes sont reconnue pour leur sagesse et à l’image de la matriarche, il est récurrent que les jeunes femmes ou même les hommes prennent conseil auprès d’elles. En somme ces femmes occupent des positions importantes sur le champ social. Même au sein des sociétés patriarcales africaines, elles sont parfois reconnues comme l’égal des hommes, voire même supérieures à ces derniers, dans la mesure où le prestige de leurs fonctions leurs octroie une certaine autorité qui reste cependant dénuée de tout pouvoir politique.

Ainsi, à l’instar de ces femmes touareg, les femmes des nombreuses sociétés africaines matriarcales se sont affranchies du simple rôle de mère et ont ainsi pu jouer un rôle majeur au sein de leurs sociétés, aussi bien dans le domaines social, dans le domaine économique ou bien encore dans le domaine politique .
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La place des femmes dans les sociétés contemporaines
Révolu le temps où elles furent étudiées sous le prisme d’un patriarcat inversé, les sociétés matriarcales – originellement pensées en miroir des sociétés patriarcales – semblent ainsi désormais être davantage conçues comme des modèles de sociétés reconnaissant le rôle majeur joué par les femmes non seulement au niveau de l’éducation et de la transmission de la tradition, mais aussi au niveau économique et au niveau politique. L’enjeu de la définition de ces sociétés comme telles, ne semble ainsi plus être celui d’amoindrir ou de réduire le rôle des hommes, et en soi de les marginaliser, mais bien de démontrer l’impact fondamental de l’action des femmes sur leurs sociétés.
Du fait de leur prééminence dans les différentes représentations spirituelles et religieuses régissant les sociétés africaines, ainsi que du fait de leur rôle matériel essentiel au sein des foyers, les femmes jouissaient d’une double considération et ainsi d’une valeur double au sein des différentes sociétés. D’une part reconnues pour leur fonction de fécondatrice, de génitrice, elles l’étaient également pour leur force de travail et de production et ainsi pour leurs apports économiques au sein du microcosme que constituait la famille, et plus largement dans la société dans laquelle elles s’inséraient. Bien que davantage reconnues pour le premier aspect, les femmes se sont imposées comme étant l’élément stabilisateur des sociétés africaines.

Les femmes en tant que force fécondatrice et génitrice
Reconnues pour leurs fonctions de reproductrices et de productrices, les femmes faisaient l’objet d’une glorification dans les systèmes agraires, ce que l’on a pu constater avec la représentation de la déesse mère à la fois allégorie de la fécondité et de la fertilité. Ainsi, la naissance de petites filles était perçue comme une source d’enrichissement puisque signifiant la garantie du maintien de la descendance pour sa famille d’origine en cas de matrilocalité (6) – dans la mesure où la femme, même mariée, continuerait à vivre avec ses parents et apporterait donc sa contribution au foyer familiale-, soit pour la famille d’accueil en cas de virilocalité (7).
La valeur sociale des femmes dans les sociétés agraires était ainsi essentielle du fait qu’elles permettent la subsistance des groupes familiaux. Cette forte valeur sociale peut être perçue au travers de la dot. En effet, cet apport en biens et en argent – avec l’introduction de la monétarisation – était perçu comme une compensation rituelle que devait payer l’époux lorsqu’il prenait pour épouse la jeune fille, la soustrayant ainsi du foyer parental. Aussi, devait-il compenser la force de travail perdue ainsi que le départ d’un élément qui aurait pu fournir une descendance à la famille d’origine.
De cela découlait leur utilisation, leur chosification en tant qu’instrument politique, le mariage étant perçu comme un moyen d’établir des alliances. Ainsi, il avait à la fois une valeur sociale, économique et politique.
C’est ainsi qu’au travers de celui-ci, les femmes, les épouses acquéraient la fonction d’éducatrice et ainsi de gardienne de la tradition. Ayant à leur charge l’éducation des filles ainsi que des jeunes garçons – avant que ceux-ci ne soient en âge de rejoindre les hommes -, elles sont celles à qui est confié le devoir d’instruction. Elles se doivent ainsi de transmettre des valeurs telles que celle du travail ou celle du respect des anciens aux enfants des deux sexes. Leur rôle s’affirme comme plus essentiel pour ce qui est de l’éducation des jeunes filles. Aussi, leur inculquaient-elles dès leur plus jeune âge les méthodes par lesquelles étaient tenues le foyer. En effet, à ce titre, la jeune fille se devait d’être en mesure de tenir un foyer, de piler le mil, d’aller chercher de l’eau au puits, d’aller en brousse chercher du bois sec, de faire le feu, et d’accompagner sa mère à la pêche ou sur les champs; une multitude de responsabilités en fonction de l’environnement dans lequel s’insérait la famille. Elles détenaient donc un rôle essentiel dans la transmission des coutumes, des cultures mais aussi des histoires de familles, s’imposant ainsi comme les gardiennes de la tradition. Cette fonction des femmes du continent est notamment abordée dans l’article « Les femmes massa du Nord du Cameroun » rédigé par le chercheur Samuel Frouisou. Il y interview Guiseyda, femme et épouse d’un homme massa, qui explique l’importance de suivre l’éducation et les traditions promues par cette société.
Ainsi, comme nous le disions plus tôt, les femmes ne se contentaient pas seulement d’assurer le maintien du groupe familial auquel elles appartenaient; elles étaient également un élément stabilisateur de la société tout entière. Cela était notamment possible par le fait qu’elle s’assuraient de la subsistance de leur peuple du fait de leur force productive.
Les Femmes en tant que force productive
Les femmes dans l’économie
Les femmes dans l’économie rurale
Bien que peu reconnu et peu salué, cet autre aspect des femmes peut également être perçu de par leur rôle dans les économies locales et plus généralement dans l’économie du continent.
Si par la diversité des sociétés présentes au sein du continent africain, il nous est impossible de définir un profil type de répartition sexuée des tâches, il nous est cependant possible d’établir des constatations générales qui bien qu’essentialisantes, nous permettent de cerner une dynamique globale. Dans la période ancienne, le continent ayant été majoritairement composé de ruraux, il pût être observée une division sexuée des différentes tâches et des rôles. Traditionnellement, la guerre, le commerce de longue distance, le défrichement des terres, la chasse, ainsi que la gestion des affaires politiques composaient les domaines réservés des hommes.
Les femmes, quant à elles, assuraient le suivi de l’agriculture, les tâches domestiques telles que l’approvisionnement en eau ou en bois de chauffe, le jardinage de proximité et le petit commerce de subsistance et de voisinage. Au XXe siècle, par le modèle agro-pastoral majoritairement répandu, les femmes et les jeunes filles étaient chargées des cultures et de la préparation des aliments tandis que les hommes et les jeunes garçons étaient d’abord chargés de surveiller les troupeaux de chèvres et de moutons et secondairement le gros bétail. Cependant, à l’instar des Nuer – peuple du Soudan du Sud actuel – la traite des vaches et la préparation du beurre étaient quasi toujours des charges qui appartenaient aux domaines des femmes.

En milieu rural, les différents travaux agricoles – bien que répartis en fonction du genre étaient assurés en commun par les femmes et les hommes, unis ou non par des liens de parenté. Par exemple, la préparation du terrain au défrichage ainsi que parfois les premières semailles étaient effectuées de concert, bien qu’il s’agissait d’activités essentiellement féminines. Outre ces sociétés valorisant le travail de la terre, dans les sociétés agro-pastorales principalement basées sur l’élevage, les femmes assuraient également des tâches essentielles. Ainsi, dans la société Massaï du Kenya, les hommes assuraient-ils la garde et le commerce du bétail tandis que les femmes en assumaient-elles la traite. En plus des tâches domestiques, elles maniaient la houe, semaient des céréales et des haricots, transportaient et stockaient les provisions. De nos jours encore, dans la société massaï contemporaine, cette construction sociale est visible.
Si l’historiographie s’accorde aujourd’hui à reconnaître les femmes rurales comme étant à la base de l’activité économique de leurs régions, mettant en lumière la diversité des tâches et des rôles qu’elles y assument ainsi que le volume horaire qu’elles y consacrent, les études dédiées à prouver un phénomène semblable dans les espaces urbains se font plus rares, et pourtant…
La colonisation ayant engendré ou plutôt dynamisé l’essor de grands centres urbains en Afrique, les XIXe et XXe siècles furent marqués par une migration urbaine. S’il fait consensus de caractériser les tout premiers exodes comme masculins, du fait de la main-d’oeuvre réquisitionnée dans ce qui était en fait nommé des « camps de travail », il serait cependant trompeur que de nier aux femmes le rôle dynamique qu’elles ont joué dans ce processus urbain; et cela aussi bien d’un point de vue démographique que d’un point de vue économique.
Les idées reçues qui voudrait ainsi que les femmes aient migré vers les villes « forcément à la traîne des hommes », qu’elles y auraient été « inévitablement dans un rapport de dépendance, de subordination » et qu’elle n’auraient pu « faire preuve que d’une autonomie d’action limitée » sont ainsi fausses. Cependant, tel que le précise Odile Goerg dans son article « Femmes et hommes dans les villes coloniales », il est difficile de défendre un tel argument sur des données chiffrées du fait que les femmes n’ont que trop peu été le sujets de telles études à l’inverse des hommes. Cependant, en adoptant une analyse sociologique et ainsi en analysant des groupes sociaux particuliers, certains aspects des mouvements de migration de femmes vers les villes peuvent être cernés plus précisément. Aussi, l’insertion de femmes originaires de Sierra Leone dans l’économie de la ville de Conakry, chef lieu de la Guinée française, – phénomène étudié depuis les années 1880 – permet-elle de comprendre en partie le rôle des femmes africaines dans le processus d’urbanisation du continent.
Ces femmes, descendantes des premiers esclaves libérés d’Amérique et reconduits en Afrique, étaient reconnues comme appartenant à une société instruite et qualifiée et ainsi recherchée en tant que main d’oeuvre. Cependant, à l’inverse des hommes à qui l’on réservait les emplois dans l’administration, dans les entreprises du bâtiment public et dans les maisons de commerce, les femmes quant à elles n’étaient pas valorisées professionnellement. Travaillant de façon indépendante, elles parvenaient tout de même à s’insérer voire même à dynamiser l’activité économique urbaine et péri-urbaine par leurs activités de service. Ces épouses, ces mères de famille, et bien plus rarement ces femmes célibataires étaient ainsi logeuses, restauratrices ou couturières. S’insérant dans le système éducatif colonial, elles pouvaient également être éducatrices au sein d’écoles privées. Cependant, c’est dans le commerce qu’elles parvinrent à bien plus s’insérer, en créant leurs propres activités, profitant ainsi des besoins nés de la vie urbaine. Elles étaient ainsi propriétaires de petits magasins, vendeuses de bétail, revendeuses ou bien encore artisanes. Au contraire des hommes, elles travaillaient ainsi bien plus souvent de façon indépendante. Ces femmes originaires de Sierra Leone parviennent ainsi à s’insérer dans un système qui avait principalement été conçu par et pour des hommes et valorisant donc les structures à destination des hommes colonisés. S’insérant dynamiquement dans l’économie urbaine, elles sont parvenues à tirer profit des opportunités offertes par ce monde urbain et ainsi à affirmer et à faire reconnaître leur place.
Bien que les femmes originaires de Sierra Leone composaient un groupe singulier dans la mesure où elles représentaient une forme de bourgeoisie, et qu’elle s’inséraient dans le vaste réseau de la diaspora sierra-léonaise, leur insertion peut-être comparable à celle de femmes originaires d’autres environnement. Un tel phénomène fut en effet perçu dans nombres de sociétés africaines et notamment à l’ouest du continent. Cela conduit notamment la chercheuse Gertrude Tshilombo Bombo à considérer qu’au début du 21e siècle, les commerçantes les plus prospères d’Afrique Subsaharienne étaient et sont encore actuellement des femmes. En effet, il suffit de se rendre au marché de Lafiabougou de Bamako, à l’instar de la majorité des marchés africains, pour observer que les commerçants sont majoritairement des femmes.
Ainsi, au cours de ces XIXe, XXe et XXIe siècles, les femmes se sont affirmées et s’affirment toujours comme des acteurs économiques incontournables et dont l’action – complémentaire à celle des hommes – permet le maintien voire même l’essor des économies de sociétés entières. Elles sont en prise avec l’environnement dans lequel elles évoluent et semblent ainsi, lorsqu’elles le peuvent, le modifier, voire le façonner de façon à pouvoir s’y insérer correctement et à pouvoir ainsi en tirer profit.

Le statut des femmes et leur implication dans la chose publique
Les origines de l’altération des sociétés matriarcales
Cette forte participation des femmes dans l’économie, est ainsi l’une des caractéristiques mise en avant lorsque l’on cherche à démontrer le rôle majeur qu’elles ont joué dans ces sociétés africaines et ainsi lorsque l’on veut en prouver les origines matriarcales.
Il est cependant, essentiel de rappeler qu’à l’origine le prestige de ces femmes ne résultait pas véritablement de leurs activités économiques mais au contraire de leur apport non monétaire diversifiés à ces sociétés, du fait de leurs fonctions de fécondatrice, d’éducatrice et ainsi de gardienne de la tradition, comme nous le disions précédemment. Dans les sociétés africaines pré-capitalistes, les femmes ne se contentent pas seulement d’assurer la subsistance du groupe familiale; elles étaient bel et bien un élément stabilisateur de la société entière notamment parce qu’elles permettaient la rencontre et la réunion de différents clans au travers du mariage et maintenaient ainsi un certain équilibre, voire une paix.
La différence d’une société matriarcale avec une société patriarcale réside dans le degré d’implication des femmes dans les processus décisionnels. De fait, parler d’exclusion des femmes dans une société patriarcale serait faux puisqu’elles y sont en réalité subordonnées aux hommes, voire marginalisées.
A contrario, dans les sociétés matriarcales, son rôle est plus affirmé dans le champs social; il est d’une importance primordiale au niveau de la famille; et toute proportion gardée, lorsqu’il est question de politique, les rapports qui la lient aux hommes sont plus ou moins à l’équilibre.
Ceci étant-dit, le pouvoir politique des femmes, y compris dans les sociétés matriarcales d’avant la colonisation, est réduit à un rôle d’ombre qui s’exerce par l’influence, ce que l’on peut constater chez les Ashantis (8) par exemple, où les souverains sont issus de la branche maternelle (matrilinéarité). Par ailleurs, c’est un phénomène toujours observable chez les Bamilékés vivant à l’Ouest du Cameroun.
Les Ashantis sont une population Akan qui vit au large du Golf de Guinée. Cette population occupe un espace qui couvre une partie de la Côte d’Ivoire jusqu’à la frontière Nigérienne. Ils sont connus notamment pour s’être imposés comme une puissance respectée par les puissances européennes du XVe au XVIIIe siècle. L’Etat Ashanti était structuré politiquement autour d’une administration politique solide et moderne. Économiquement, sa puissance, provenait essentiellement de l’agriculture. Par ailleurs, c’est un État qui exerçait sa puissance sur une cinquantaine d’États satellites voisins qui lui étaient fédérés de façon artificielle par un jeu complexe d’influence. Point intéressant puisque révélateur de l’importance du rôle des femmes dans cette société : les souverains qui portaient le titre de Asantehene étaient issus de la branche maternelle de leur famille. Ainsi, il s’avère que seules les femmes pouvaient transmettre les droits politiques relatifs à cette fonction. C’est ce lien qui permet à certains personnages féminins d’avoir une grande influence sur le souverain. Dans une autre région, autre structure moins grande, les Bamiléké, populations descendantes d’anciens égyptiens et structurée en chefferie, la femme à un grand rôle dans cette société matriarcale. Le mode de fonctionnement est similaire aux Ashantis à savoir une transmission des droits politiques par la mère qui exerce une influence sur le détenteur du pouvoir. Ce mode de transmission est récurrent dans la plupart des sociétés matriarcales d’avant la colonisation et permet à la femme d’avoir un exercice du pouvoir politique par procuration en usant d’influence. La matrilinéarité politique est par ailleurs à l’origine, le critère qui à donner une définition erronée du matriarcat, mettant ce dernier terme sur le même plan que le patriarcat. Or dans le cas de sociétés patriarcales, le pouvoir politique est organisé en phallocratie ou le pouvoirs politique de l’homme, par et pour l’homme, la femme étant marginalisée et maintenue sous le statut d’éternelle mineure. Les anthropologues tel Françoise Héritier pointent du doigt l’existence d’un pouvoir gynécocratique équivalent de près ou de loin aux pouvoirs phallocratiques dont les exemples foisonnent à travers le temps. C’est pour cette raison que l’archéologue Marija Gimbutas emploie le terme “société matristique” pour désigner une société où il n’existe aucune discrimination de nature sexuelle et où la femme à plus d’importance que l’homme grâce à sa capacité à perpétuer l’espèce humaine. Il existe toutefois des reine en Afrique qui, on pourrait le croire, infirme cette dernière thèse. Des exemples tel la Kahina, la reine-guerrière des Aurès, Tin Hinane princesse et matriarche des Touaregs où encore la reine de Saba, mère revendiquer du christianisme éthiopienne, pourraient effectivement induire sur une piste de sociétés gynocritiques, cependant si l’on se penche sur les conditions d’accès au pouvoir pour les femmes dans ces sociétés là, on s’aperçoit simplement qu’elles sont soit les brillantes exceptions de sociétés patriarcales soit des exceptions des sociétés matriarcales car dans ces dernières, si la femme à une importance considérable, c’est toujours l’homme qui garde les fonctions du pouvoir politique.
Par ailleurs, il semblerait que la période moderne ait symbolisé, par endroit, le début de la dégradation du statut des femmes.
En effet, au cours de la période moderne, fortement marquée par la transformation de l’économie dite traditionnelle vers une économie mercantile les femmes auraient perdu la relative liberté dont elles jouissaient notamment dans les domaines culturels et économiques.
D’après des chercheurs tels que Danielle de Lame, cette lente modification du système économique peut être perçue comme l’une des origines de la perte de pouvoir et d’autonomie des femmes. En effet, l’introduction de l’économie marchande dans ces sociétés aurait ainsi modifié les rapports entre les genres du fait de la répartition traditionnelle des tâches. Ainsi, alors les femmes s’appuient principalement sur les champs, les hommes étaient entrés en contact avec le marché du travail et de l’argent.
Aussi, déjà fragilisées de par leur position, furent-elles confrontées à la diffusion d’idéologies étrangères qui auraient, dans certains cas, conduit à leur marginalisation. Les valeurs traditionnelles niées ou adaptées auraient ainsi été influencés par des traditions issues de sociétés patriarcales bédouines porteuses d’une certaine vision de l’Islam ainsi que par les sociétés occidentales pratiquant un certain christianisme. Ainsi ces rencontres auraient entrainées des mutations sociales profondes et suscité de nouveaux comportements.
Au XIXe, du fait de la colonisation européenne du continent, il était donc attendu de ces femmes qu’elles se conforment au modèle européen de la mère au foyer et qu’elles ne prennent donc plus part au débat public. Ainsi, le siècle de la conquête européenne, fut marqué par une exacerbation croissante des inégalités sociales dont les femmes furent les plus défavorisées. Les femmes du continent européen même connaissaient cette oppression, vivant encore à l’époque les conséquence de sociétés profondément patriarcales ayant un temps érigé l’imbécillités sexus (9) en norme juridique.
Sous la colonisation, peut ainsi être remarquée une absence des femmes des instances de décisions politiques, économique et socio-culturelle. En cela, ces femmes, qui formaient auparavant le socle des sociétés africaines formées sur le modèle matriarcale, se sont retrouvés doublement oppressées et donc doublement victimes. Elles vivaient à la fois sous la domination coloniale et à la fois sous la domination des hommes de leur société.
Dans son article « Féminisme en Afrique et rapport de genre », Danielle de Lame émet donc l’hypothèse d’une interaction entre les mouvements indépendantistes en Afrique et la montée des revendications féministes. Ainsi, après avoir été réduite au silence sur une aussi longue période que fut la colonisation, certaines femmes entreprirent de regagner leur indépendance aussi bien vis à vis du colonisateur que vis à vis de leurs paires. Dans la période qui suit les indépendances, on assiste dès lors à l’éclosion de nombreuses petites associations ainsi que d’organismes visant à promouvoir les femmes au sein de la société.
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Conclusion
Les femmes sont un pilier essentiel des sociétés humaines et pour cause, elles représentent plus de la la moitié de la population. Cependant, pour parler de société matriarcale, il faut observer le rôle et l’importance qui sont accordés aux femmes dans la société. Le problème étant que le terme fut théorisé bien après le concept, les premières définitions comportent certaines erreurs d’approche. L’approche du XIX – XXe siècle consistait à et à mettre concept de société matriarcale en miroir du concept de société patriarcale et à en faire ainsi une société où il y aurait une gynocratie et une matrilinéarité avec un rôle de première importance de la femme au sein du cercle familial. Par ailleurs, ce type de société marginalise l’homme à l’image de la société patriarcale qui marginalise la femme, réduisant cette dernière au rang de subordonnée de l’homme. Une définition qui ne vient pas de nulle part, elle trouve des échos dans la Grèce antique avec le fameux mythe hostile aux hommes des Amazones. Cette construction est mieux connue aujourd’hui comme le “mythe savant”, à savoir une notion erronée scientifiquement argumentée.
Les premières études sur les sociétés matriarcales trouvent leurs origines à l’époque néolithique, où les femmes étaient très présentes dans l’imaginaire religieux dans l’allégorie de la déesse mère : la somme de fertilité de la terre et de la fécondité de la femme, l’une permettant de survivre et l’autre permettant de perpétuer l’espèce humaine. Le tout est personnifié en une entité divine qui domine religieusement tout autre élément sacré. L’image sacrée et importante de la femme peut être aussi retracée dans le panthéon égyptien. Que ce soit par la déesse Nout mère des astres ou encore Isis la grande magicienne, ces représentation renvoie à une importance signifiable des femmes dans la société égyptienne. Enfin même dans les religions monothéistes, bien que dans les textes sacrés, il n’existe pas véritablement de recommandation de domination d’un sexe sur un autre, celle-ci fut instaurée d’une part par une transposition culturelle sur le religieux et d’autre part par le fruit d’interprétations de savants théologues. Il existe dans les sociétés africaines islamisées ou christianisées, des résidus symboliques ou des traces d’anciennes structures sociétales de type matriarcales. Par exemple on peut évoquer que chez les Juifs, c’est la mère qui transmet le droit à l’appartenance religieuse.
Marija Gimbutas préfère le terme de sociétés matristiques au terme habituellement employé par les anthropologues et archéologues. Ce dernier terme renvoie à l’importance de la figure de la mère et de la femme au sein de la communauté de base dans la société: la famille. Et cela commence par l’alliance matrimoniale. On le sait aujourd’hui, que plusieurs cultures africaines pratiquent le principe de matrilocalité ou le déplacement de l’époux dans la localité d’origine de son épouse. Ce point est très important car il accorde une prééminence de la femme sur l’homme dans le couple. Par ailleurs plusieurs cultures africaines exigent de l’époux une dot au mariage et donne le choix du partenaire à la femme.
Une fois que la femme acquiert le statut de mère dans ce type de sociétés, elle dirige tous les aspects du foyer, tel que l’éducation, la formation et le droit de regard sur les choix des enfants. Elle gère le budget familial et elle est responsable de la survie de la famille pendant les périodes hostiles tel que l’hiver. Dans la communautée élargie, les femmes âgées sont consultées et leurs recommandations ont valeur de loi : ce sont les matriarches. Au sein d’un village, les accouchements et autres rituels tel que l’excision sont pratiqués par les matrones. La santé est gérée par des guérisseuses qui s’occupent de cela en plus des tâches habituelles de la matrone. Que ce soit par le statut de la matriarche, de la matrone ou de la guérisseuse, la femme acquiert une légitimité et une forme de pouvoir symbolique valant autorité dans les communautés restreintes extra-familiales.
Dans les sociétés africaines caractérisées de matriarcales se distinguent également les femmes pour leur rôle de force productrice. Jouant donc un rôle essentiel dans les économies agro-pastorales du monde rural ainsi que dans les économies commerciales des villes. Elles s’affirment comme étant à l’origine de la subsistance de la famille, fut-elle nucléaire ou élargie. Innovantes, elles sont ainsi parvenues à s’intégrer là où elles n’étaient pas attendues et où aucune infrastructure n’avait été pensée pour elles; parvenant ainsi à créer leurs propres activités, à faire vivre leur foyer, à dynamiser l’économie locale mais aussi à gagner en indépendance. Pour reprendre une expression de Danielle de Lame, elles s’affirment comme “le pivot de la survie” dans ces sociétés matriarcales et dans celles découlant du matriarcat.
En sommes les sociétés africaines sont matriarcales dans la mesure où les femmes ont une place importante dans la société sans toutefois occuper systématiquement une place politique importantes jusqu’au XXe siècle. L’importance de leur rôle réside dans la fertilité ou leur capacité créatrice, à donner la vie. Que ce soit par l’imaginaire religieux, dans la famille ou dans société, la société matriarcale prône une égalitée relative des sexes à l’inverse de la société patriarcale qui réduit la femme à un simple statut de subordonnée ou d’éternelle mineure dépendante de l’homme. Cependant, même au sein des sociétés patriarcales, les femmes arrivent tant bien que mal à se faire une place sur tous les plan de la société et même de brillantes exceptions arrivent à occuper des places traditionnellement réservées aux hommes.
Explications de texte:
(1) Une femme qui a le même statut que le patriarche, dans tous les sens du terme. Tout en nuance, le terme est aujourd’hui tourné à la dérision.
(2) Une femme qui est la tête de la famille ou de la tribue ou des femmes âgées qui ont un pouvoir important au sein de la famille ou dans son organisation.
(3) Terme employé pour désigner la révolution du néolithique ou l’ensemble des raisons pour lesquelles l’Homme est passé du stade de nomade à sédentaire.
(4) Terme non péjoratif employé par Cheikh Anta Diop et qui renvoi au concept de négritude.
(5) Ensemble de mythes, cosmogonie qui à pour origine la ville d’Héliopolis.
(6) Matrilocalité: dans ce cas, le lieu de résidence du couple étant le foyer familial d’origine de l’épouse. Chez les Akan du Ghana, par exemple, la résidence était matrilocale. Par ailleurs, d’après la thèse défendue par Catherine Coquerie – Vidrovitch dans son ouvrage Les Africaines, Histoire des femmes d’Afrique subsaharienne du XIXe au XXe s, le plus souvent, les femmes mariées continuaient à vivre dans leur branche maternelle et ne se rendait chez leur époux que la nuit venue.
(7) virilocalité: dans ce cas, le lieu de résidence du couple marié est celui du foyer d’origine de l’époux.
(8) Les Ashantis sont une population d’Afrique de l’Ouest présent principalement au Ghana. Ils appartiennent au groupe des Akan.
(9) Sous l’Ancien Régime, restrictions imposées aux femmes dans leur capacité à agir. Il s’agit d’un héritage du droit romain qui a notamment persisté dans la législation espagnole jusqu’au XIXe siècle, avec de légères variations. Cette discrimination légale fondée sur le sexe reflète la mentalité dominante depuis des siècles dans certaines sociétés européennes.
(10) Point de passage hermétique qui isole deux environnement différents.
Article rédigé par:
Aïda Bouhalka
Etudiante en Droit / Sciences politiques
à l’Université Panthéon-Sorbonne, Paris 1.
Kadia Diarra
Etudiante en double licence droit français / droit anglo-américain
à l’Université de Paris Nanterre.
Feth Eddine Aggad
Etudiant en Economie,
à l’Université Panthéon-Sorbonne, Paris 1.
Akli Aouaa,
Étudiant en Histoire,
à l’Université Panthéon-Sorbonne, Paris 1.
Corrigé par :
Abir Nur
Coordinatrice du Journal d’ESMA N°2
Diplômée d’une Licence Histoire/Science politique,
de l’Université Panthéon-Sorbonne, Paris 1.