Sao Tomé e Principe à l’honneur: Point historique

Sao Tomé e Principe, un Etat au large du golf de Guinée dont bien des africains n’ont qu’une vague idée et pour cause : l’archipel petit par sa taille et par sa démographie est souvent reclus dans son insularité. Lorsqu’on se plonge dans son histoire, on y découvre toutes les réalités que nombre de pays africains ont vécu dans leurs passé : esclavage, travail forcé, racialisation de la société, massacres, colonialisme et autres formes de brutalité. Si bien que la société santoméenne fut forgée par mille ans de présence portugaise que l’on peut toujours observer actuellement. Partout où il y a eu domination, il y a eu soulèvement et Sao Tomé e Principe n’échappe pas à ce principe. C’est donc en toute logique que dans ce point, nous aborderons deux soulèvements séparés par plusieurs siècles d’intervalle: le premier est un soulèvement d’esclaves contre leurs conditions de servitude et le second est un soulèvement populaire des natifs contre des politiques répressives dont l’objectif est de les obliger au travail forcé.

La guerre des Angolares

Comme cela à été abordé dans le précédent point de la rubrique ( lien ), l’archipel fut abordé par deux explorateurs portugais qui donnèrent à l’île principale, le nom de Saint-Thomas en référence au jour où ils accostent sur ses plages. Initialement l’archipel fut inhabitée selon les écrits européens de l’époque. Le temps passant, Sao Tomé e Principe fut tour à tour le refuge des protestants et d’enfants juifs qui, soit fuyaient l’inquisition au Portugal, soit étaient déportés en conséquence de cette dernière. Rapidement au XVe siècle, Sao Tomé, l’île principale est devenue une place de pratiques commerciales effroyables : les premières plantations de canne à sucre furent installées, la main d’oeuvre était importée dans les royaumes voisins et la production était échangée au Portugal contre différentes marchandises.  D’ailleurs, il est étrange de parler de main-d’oeuvre car ce terme peut prêter à l’anachronisme, parlons de façon distincte car il s’agit en réalité de condition servile: d’esclaves noirs importés du fort d’Elmina sur la Côte d’Or (actuel Ghana) ou encore du royaume Kongo et bien d’autres endroits voisins.

Le fort d’Elmina par exemple fondé par les mêmes Joao de Santarém et Pedro Escobar qui ont fait connaître Sao Tomé aux européens, une concession faite par les royaumes Akan (1), servait de tête de pont aux portugais pour acheminer dans un premier temps de l’or (2) puis progressivement à la fin du XIVe siècle à acheminer des esclaves. Toujours est-il que Sao Tomé, un autre exemple du déploiement portugais dans la région, était la destination et non le point de départ des esclaves. Au XVe siècle, grâce à sa position stratégique et grâce à l’arrivée des esclaves, l’île accueillait de plus en plus de colons et l’on voyait alors apparaître les prémices du commerce triangulaire (3). Cependant vers la fin du XVe siècle, ces populations africaines en servitude se révoltent face à leurs conditions de vie laborieuses. Et c’est là qu’intervient la légende du rei Amador (4), né dans le domaine de Bernardo Vieira (5) où il aurait été sans doute domestique.

Dans un contexte d’essoufflement de “l’empire monde”(6) portugais, l’île est souvent sujette aux attaques des Hollandais, Anglais et Français. A cela s’ajoute le mécontentement des esclaves africains qui prennent souvent la fuite et trouvent abri dans les luxuriante forêts vertes de l’île Sao Tomé. Ces fugitifs harcèlent régulièrement les colons dès 1530 en s’attaquant par petits groupes aux troupes portugaises et en brûlant des propriétés foncières de colons. Un peu plus tard dans le XVIe siècle, Amador commence à fédérer différents fugitifs noirs et constituer une armée. A la fin du siècle, l’armée des “Angolares” comme qualifiée antérieurement, dirigée par le-dit Amador, adopte une stratégie de guérilla face  à l’armée impériale du Portugal avec des escarmouches récurrentes, un harcèlement des troupes et une stratégie de terre brûlée. Les hostilités montent crescendo jusqu’aux affrontements frontaux. L’armée d’Amador composée d’insurgés expérimentés et non entraînés remporte peu à peu des victoire jusqu’à repousser les portugais à se retrancher dans la ville-capitale éponyme de l’île. En 1595 toute la région de Trinidad (7) est sous occupation des Angolares. Quelques mois plus tard, Amador et les siens marchent sur la capitale et réussissent même à s’emparer des quelques points de la ville; ce qui reste insuffisant pour bouter en dehors de l’île les portugais et mettre fin au régime de servitude auquel ils  étaient soumis. L’armée impériale mieux armée , mieux équipée et revigorée de plusieurs (nombreux?) métropolitains venus en renfort, renversent (inversent) la tendance et chassent les Angolares loin de la capitale. Elle les repousse dans les profondeurs de la forêt, où jusqu’à aujourd’hui ces derniers demeurent : au sud de l’île principale où ils sont principalement tournés vers l’agriculture et la pêche.

La révolte fut durement réprimée et Amador fut capturé le 4 janvier 1596 et son sort demeure incertain car la documentation est insuffisante pour pouvoir l’apprécier avec certitude. Sa légende est édifiée bien plus tard, après 1975 soit la date d’indépendance. Il est considéré comme l’allégorie de Sao Tomé e Principe, toujours révoltée contre les colons portugais. D’un côté on l’évoque souvent avec le titre de roi ( rei Amador), ce qu’il n’était pas et de l’autre une représentation de lui figure souvent sur les billets de 5, 10, 10000 et 20000 Dobras (monnaie nationale). Certains le considèrent comme précurseur des “Neg Mawon” haïtiens qui fuient leurs condition d’esclave et d’autres préfèrent le qualifier de précurseur abolitionniste avant l’âge : ici on préférera parler d’un homme qui s’est uni aux siens pour revendiquer les droits le plus inaliénables de l’être humain : la liberté et la dignité.  Les Angolares continuent ponctuellement de s’en prendre aux portugais durant le XVIIe et le XVIIIe siècle mais rien de plus significatif comparé à la guerre des Angolares.

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Nationalisme, colonialisme et Sao Tomé

Un autre fait et non des moindres, un massacre qui s’est produit sur l’île principale en février 1953, une répression sanglante suite à une révolte des Forros (8) qui refusent le travail forcé. Un évènement que le MLSTP (9) qualifiait de genèse du nationalisme santoméen (10). Il convient au préalable et avant tout propos de définir le terme “nationalisme” puisqu’il est galvaudé et qu’il peut être lieu d’un anachronisme erroné, ce qui en soit est un pléonasme.  La notion fait son apparition lors du célèbre “serment du jeu de paume” prélude de la révolution française en 1789, sa signification originelle est le sentiment d’appartenance à une même communauté humaine née sur la même terre, que l’on qualifie de nation, unie pour s’opposer à une force oppressante et pour l’époque ce fut la monarchie absolue. En cela cette définition est proche voire synonyme de la notion actuelle de patriotisme (11). Le mot et la notion “ nationalisme” fut à la fin du XIXe siècle et à la première moitié du XXe siècle orienté contre des ennemis l’intérieurs, désignées sur une bases de caractères arbitraire et cet usage aboutie en Europe à la première guerre mondiale et aux massacres dirigées contre les populations juives lors de la seconde guerre mondiale. Depuis la notion de “nationalisme” est attribués aux partis extrémistes souvent xénophobes quand il ne sont pas proche de l’idéologie néo-nazie. Dans le contexte du colonialisme, la notion prend un autre sens: les mouvements nationalistes sont souvent un regroupement d’individus qualifiés de façon récurrente, d’indigènes ou autochtones, se reconnaissent un sentiment d’appartenance à une même communauté humaine et  qui revendiquent soit une égalitée de droits ou de statut juridique, soit l’indépendance totale.

Plus précisément dans le contexte santoméen à la fin du XXe siècle il s’agit de revendications indépendantes contre à l’occupation et à la colonisation portugaise. Pour revenir en 1953, comme il est évoquée plus haut, il faut garder en tête que la société santoméenne est le fruit de plusieurs siècles d’application de l’idéologie raciale, ce qui mène à une stratification sociale selon des critères plus complexes que la simple distinction basé sur la couleure de peau. Par ailleurs des siècle d’imposition de travail servile ou forcé ont mené certaines populations natives devenues “libres” au début du XXe siècle à refuser toutes formes de travail manuelle au profit des colons ou des métisses car considérant la tâche dégradante pour la dignité humaine. Enfin la nomination d’un ancien colonel comme gouverneur de Sao Tomé, qui ambitionne de moderniser l’île à marche forcée, employant certaines méthodes personnelles (12) mène les populations santoméennes à une révolte violemment réprimée. Donc ces massacres de février 1953 est un point centrale dans le basculement de revendications des natifs de Sao Tomé e Principe.

Massacres de février 1953

C’est devenu un jour de commémoration national sur l’archipel. L’événement en soi porte plusieurs qualificatifs : révolte, révolution, guerre… toujours est-il qu’il a eu confrontation entre deux belligérants, inégalement armée et inégalement formée à la guerre. Il y a eu ce jours là division sur des rumeurs propager pour opposées les populations sous domination entre-elles. Il y a eu torture, il y a eu des morts et il y a surtout eu dégradation de la condition humaine et a eu désire d’humiliation pour imposer l’ordre! Les faits: le 20 avril 1945, le colonel Carlos de Souza Gorgulho est nommé gouverneur de Sao Tomé, il arrive à son post plein de bonne volontée, voulant moderniser l’île en infrastructure, en industrie et même la société santoméenne. Durant son premier mandat il met en oeuvre des mesures concrètes et bénéfiques pour les populations natives,  tel que l’allocation familiale, les retraites pour les fonctionnaires, la fondation d’une école des arts et des métiers et l’inauguration du premier établissement du secondaire, un collège-lycée dans la capitale. Si bien que lorsque son premier mandat s’acheva, la population santoméenne envoie une délégation pour le faire reconduire dans ses fonctions, point sur lesquels elles ont obtenues satisfaction. Cependant contexte est changeant pendant les années 1950 : sur le plan international, il souffle un vent de liberté sur le continent noir ( mouvement panafricaniste de Césair, Senghor, NKrumah etc…), au sortir de la seconde guerre mondiale dont les africains ont joués un rôle de premier plan, l’image de la toute puissances des empires coloniaux s’est fissuré. Ajoutons à cela les débuts de la guerre froide et la paranoïa général que provoque la super-puissance soviétique dont bien des mouvements africains pour l’indépendance se sont rapprochés ou s’en inspire et le communisme fait peur. Sur le plan purement locale, les siècles consécutifs d’esclavage, de condition servile dans les plantations ont rendu la perception du travail dans les roças (13) comme dégradant pour les populations natives. Dans un premier temps le gouvernement locale s’est satisfait des serviçais (14).

Seulement l’ambition du nouveau gouverneur nécessite toujours plus de main d’oeuvre, ce à quoi se refuse la population native : les forros. Dès le début des années 1950, le gouverneur Gorgulho organise des rafles en s’appuient sur le corp de police indiène ( CPI ) pour capturer des natifs sur des critères complètement arbitraire les forçant au travail forcé, rémunéré largement en dessous de la paye journalière, quand la solde n’est pas payée. Les conditions de travail sont horrible à supporter: châtiments corporels, cadence insoutenable et les horaires sont aléatoires. En janvier 1953 tout s’accélère quand sur l’île, des affiches contre la politique du gouverneur sont placardés. Rumeure à une autre, Carlos Gorgulho libère prisonniers, réquisitionne les colons ayant effectué leurs services militaire et recrute des volontaires: il se prépare à réprimer un soulèvement. Le climat s’aggrave vite quand un natif se fait tué sommairement par un ancien détenu du nom de Zé Mulato: une manifestations des natifs mécontents après, le coup d’envoie est lancé pour la répression de ces derniers. Le gouverneur retourne même les serviçais contre les forros leurs imputant les dures conditions de travail dans les roças. Les milices constitués sont divisés en trois colonnes et partent à la chasse des forros. Du 5 au 27 février, le bilan humain est lourd, outre les séquelles dues aux tortures ( décharge électrique, asphyxie, simulation de noyade…), il eu beaucoup d’exécutions sommaires. Après ces événements une enquête fut mené par les autorités portugaises qui ont mené à la conclusion que les répressions n’ont aucune justification. Dès lors, le gouverneur est poussé à la démission et les auteurs de crimes contre la population natives ont écopés de peine exemplaires le 27 juin 1953, prononcés par les nombreux tribunaux militaires que l’Etat portugais à organiser. Le 12 juillet 1975 le jours de l’indépendance, Manuel Pinto da Costa prononce ces mots lors de son discours: « Malgré la répression et les manœuvres divisionnistes, les colonialistes portugais n’ont jamais pu étouffer l’esprit de révolte et le désir de liberté du peuple de São Tomé e Príncipe. Un exemple de cette ferme détermination d’être libre nous est donné par les événements de 1953, lorsque tout notre peuple préféra succomber sous les balles criminelles des colonialistes fascistes portugais, plutôt que d’accepter le régime de travail forcé »

Les îles chocolats, nom évocateur d’un passé douloureux mais aussi qui témoigne de la témérité de sa population, résistante siècle après siècle. Sao Tomé e Principe est l’Afrique en miniature. Terres où se croise un passer douloureux, des épopées légendaires, un présent bancale mais aussi un future prometteur. Ce petit paradis insulaire, niché à la croisée des deux hémisphères, c’est l’archipel du milieu de la terre.

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(1) Les Akan sont une population qui a vécu sur la façade sud de l’Afrique de l’ouest. Elle a formé à partir du XVIIe siècle l’un des empires les plus puissants en Afrique: l’empire Ashanti.
(2) L’achat de l’or par les portugais à Elmina / La Côte d’Or / Gold Coast
(3) Sao Tomé était un laboratoire du commerce triangulaire, schéma imaginaire expliquant le fonctionnement de la traite transatlantique.
(4) Rei signifie roi et c’est le qualificatif qui précède Amador considérer comme les roi des Angolares. Historiquement il n’était pas roi, sa légende né après l’indépendance en 1975.
(5) Colon portugais propriétaire foncier et propriétaire d’esclaves.
(6) L’empire monde est une forme souvent employé pour parler de l’étendue de l’empire portugais qui couvre toute la surface du globe.
(7) Région au nord-est de l’île Sao Tomé  et à quelques kilomètres de la capitale.
(8) Les Forros sont une population qui forme une strate socio-culturelle de Sao Tomé e Principe. Ils sont caractérisés par leurs métissage et pour être des descendants à la fois d’esclaves africains et de colons européens.
(9) MLSTP : Movimento de Libertação de São Tomé e Príncipe, mouvement de libération national.
(10) Congrès du MLSTP en 1978.
(11) Dérivée du mot patrie qui tire sa racine du mot latin Pater et qui renvoie à la terre où sont enterré les pères. Notion appliquer au patriarcat romain qui dans le sens universel signifie la terre où sont enterré les ancêtres.
(12) Seibert Gerhard, Picard Jacky. Le massacre de février 1953 à São Tomé : raison d’être du nationalisme santoméen. In: Lusotopie, n°4, 1997. Lusotropicalisme : Idéologie coloniales et identités nationale dans les mondes lusophones. p. 177.
(13) Domaines fonciers tenues par des colons portugais ou des familles métisses riches, plantations de cannes à sucre, de cacao ou de café.
(14) Serviçais: main d’oeuvre déportée, généralement acheminés d’Angola, Cap-Vert ou encore du Mozambique
Corpus bibliographique
Izequiel Batista de Sousa, Sao Tomé et Principe de 1485 à 1755: une société coloniale, du Blanc et du Noir.Paris, L’Harmattan, 2008, p 167-208.
Seibert Gerhard, Picard Jacky. Le massacre de février 1953 à São Tomé : raison d’être du nationalisme santoméen. In: Lusotopie, n°4, 1997. Lusotropicalisme : Idéologie coloniales et identités nationale dans les mondes lusophones. pp. 171-191
Vous pouvez aussi lire l’article précédent:  Sao Tomé e Principe. point présentation en cliquant-ici.

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