Journal d’ESMA n°3 – L’éducation en Afrique : implications économiques

N.B. : Les données exprimées dans l’article ne concernent que l’Afrique subsaharienne pour des raisons de recherche de données statistiques qui se sont axées sur cette zone. Nous rappelons et prenons en compte que l’Afrique est un continent comprenant un grand nombre de pays et qu’il ne faut pas généraliser un cas avec tous les pays la constituant. Il s’agit ici d’une analyse simple de données afin de permettre à nos lecteurs d’avoir une première idée de l’implication économique des États dans l’éducation de leur population.

L’Afrique, continent riche par ses ressources et sa diversité culturelle, détient une grande marge de développement qui peut lui permettre à long terme de devenir une plateforme économique importante. Le développement doit partir de bases solides : l’éducation est la graine qui permettrait de faire germer l’Afrique au niveau mondial. La mondialisation a poussé l’internationalisation ainsi que l’interdépendance des pays aux niveaux politique et économique. Traiter de l’implication de l’économie au coeur de l’éducation est donc  fondamental afin de comprendre les enjeux de celui-ci pour les années futures. Il sera donc intéressant d’observer les différents cadres de l’économie dont traite l’éducation afin de rendre compte des investissements mis en place ces dernières années dans le but, in fine, d’avoir une éducation de qualité et pour tous.


Les données statistiques ont mis en lumière certains problèmes au niveau de l’éducation en Afrique, ainsi il s’agira de traiter des freins à la facilité d’accès et d’acquisition de l’éducation dans un cadre économique. Il sera dans un premier temps intéressant de porter un regard sur la faible base fiscale en utilisant l’exemple du Nigéria, puis de croiser la croissance démographique avec l’investissement pour l’éducation des États. Ainsi, il est nécessaire par la suite d’étudier le budget consacré par les États Africains à l’éducation mais aussi d’observer la part des financements extérieurs attribués à l’éducation pour les pays de la même région.

Une base fiscale faible, l’exemple du Nigéria

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Le président du Nigeria Muhammadu Buhari présente le budget 2018 devant l’Assemblée Nationale.

Comment les États financent-ils l’éducation ? Pour se faire, un État doit disposer de fonds suffisants afin de subvenir aux besoins éducatifs de sa population. Il est donc intéressant de savoir combien détiennent les États pour assurer des dépenses publiques. Ensuite, dans l’intérêt d’obtenir cette information il faut se pencher sur la question de la fiscalité en Afrique.

Les États instaurent des impôts, et ces impôts sont par la suite prélevés par les administrations fiscales mises en place, puis ces recettes vont être réinvesties dans le pays. Mais pour que cela fonctionne, l’État doit se munir d’une administration fiscale bien organisée et, qui plus est, respectée par tous. En Afrique subsaharienne, de nombreux cas de pays nous offrent la possibilité d’observer des failles : la corruption, le travail non déclaré mais aussi un faible nombre de personnes qui payent leurs impôts.

Au Nigéria, pays le plus peuplé d’Afrique avec environ 180 millions d’habitants et dont le PIB est le plus important du continent, on a, d’après les données de la Banque Mondiale, le ratio des recettes fiscales le plus faible de toute l’Afrique subsaharienne.  En 2013, la région avait un PIB d’une moyenne de 15,6% en recettes fiscales, contre 1,5% au Nigéria.

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Source : Banque Mondiale

On pourrait donc se demander si ce qui explique la baisse du ratio n’est pas précisément le fait que le Nigeria soit le pays qui a le plus grand PIB d’Afrique. Cela signifierait que ce pays a les mêmes mesures fiscales que la majorité des autres pays de l’Afrique subsaharienne et donc peut-être aussi les mêmes problèmes quant à ses rentrées d’impôt.

En utilisant le cas du Nigéria pour sa forte population, mais surtout pour son grand nombre de millionnaires (en US$ et non en nairas, la monnaie locale), il est intéressant de souligner qu’en 2016, le ministre des finances nigérian a annoncé que seules 241 personnes avaient payé des impôts sur le revenu d’un montant supérieur à 20 millions de nairas, soit l’équivalent de plus de soixante-mille euros en décembre 2016.

Un tel chiffre est difficile à entendre lorsque l’on apprend dans le rapport 2017 d’AfrAsia Bank, qu’uniquement dans la ville de Lagos, capitale économique du Nigéria, avaient été dénombrés 6.800 millionnaires et 360 multimillionnaires (en US$ courant).

La croissance démographique africaine

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L’Afrique détient la deuxième place pour ce qui est des continents les plus peuplés, mais cela n’est que temporaire étant donné que sa population devrait doubler d’ici à 2050 d’après l’INED (Institut National d’Études Démographiques) passant de 1,2 milliards en 2017 à 2,5 milliards et donc se rapprocher de la première place.

Or une augmentation de la population  entraîne naturellement une augmentation du nombre d’enfants en âge d’être scolarisés. C’est donc un grand défi que d’augmenter le nombre d’enfants scolarisés qui était de 79,5% en 2016 et de ne pas surcharger les classes tout en préservant la qualité de l’éducation.

Or, cela a un coût. Pour un continent composé de pays avec de faibles revenus, ceci va directement impacter l’investissement par enfant en âge d’être scolarisé. Si l’argent investi n’augmente pas à mesure que la population croît, il sera difficile de garder au minimum le même investissement par tête qu’ aujourd’hui.

Le budget consacré par les États à l’éducation : des idées reçues ?

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L’Association pour le développement de l’éducation en Afrique (ADEA), en partenariat avec le Groupe de la Banque africaine de développement (BAD), a présenté les résultats de l’étude de faisabilité du Fonds africain pour l’éducation (FAE) lors du premier Sommet extraordinaire du Comité des dix (C10) des chefs d’État et de gouvernement de l’Union africaine champions de l’éducation, de la science et de la technologie.

La première idée que l’on peut avoir d’un point de vue « occidental » lorsque l’on pense à l’éducation en Afrique, est celle d’un manque de moyens à tous les niveaux : structures, professeurs formés, matériels. Ceci mène à penser qu’il y a un manque de volonté des États africains à investir cet argent dans l’éducation. Or ce n’est pas le cas, étant donné qu’avec une moyenne de 16,90% des dépenses consacrées à l’éducation sur le total des dépenses publiques en 2015, l’Afrique subsaharienne se range à la deuxième place parmi les différentes zones géographiques, juste derrière l’Amérique latine qui arborait une moyenne de 17,60% cette même année.

Le problème, ne se situant pas uniquement sur la part des dépenses de l’État, nous invite à nous interroger sur ce que ces chiffres représentent.

Comme expliqué plus haut, les États d’Afrique subsaharienne ont globalement de faibles recettes par rapport à leur PIB. Or si l’on fait la somme des PIB de ces pays, en 2017 elle atteint le chiffre de 1.669 milliards de US$ courant, contre 2.582 milliards France.

Par ces chiffres il est clair que si les revenus fiscaux en pourcentage du PIB sont plus faibles en Afrique subsaharienne qu’en France alors même que la somme des PIB de tous les pays d’Afrique subsaharienne est inférieure à celle de la France seule, la part de leurs dépenses publiques en éducation est très faible et n’aura pas une grande ampleur.

Pour des raisons de manque de données sur les années suivantes, le tableau ci-dessous sera basé sur les valeurs de 2013 en $US. De plus, il faut prendre pour hypothèse que les États n’ont que des recettes fiscales, afin d’avoir une  idée de la valeur que représentent les dépenses publiques investies dans l’éducation.

2013(En $US) PIB (En milliard) Revenus fiscaux (en % du PIB) Revenus fiscaux en valeur

(En milliard)

% de dépense de l’État en éducation Dépenses publiques en valeur pour l’éducation

(En milliard)

France 2 811 23,2 652,152 9,6 % 62,69
Afrique subsaharienne 1740 15,6 271,44 16,4 % 44,52

Pour rendre compte de la différence, il est important d’observer qu’en France, les dépenses de l’État en 2015 pour l’éducation ne comptaient que 57,4% du montant total investi dans l’éducation. L’État reste le premier investisseur, mais il faut savoir qu’il ne correspond qu’à un peu plus de la moitié de l’ensemble de l’investissement, ce qui voudrait dire que la valeur réelle de l’investissement en 2013 pourrait être presque le double des 62,69 milliards qui apparaissent dans le tableau ci-dessus.

Il faut cependant prendre également en compte le fait qu’en Afrique subsaharienne de manière générale, l’État n’est pas le seul à investir dans l’éducation : des écoles privées – le plus souvent religieuses – ou même des écoles créées par les ONG basées sur place ont une grande part dans l’investissement total pour l’éducation. Il sera donc intéressant de rendre compte des financements extérieurs investis dans l’éducation en Afrique subsaharienne, ainsi que son impact au sein de cette même zone géographique.

La part des financements extérieurs en question

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African LeaderShip School, une école pour des étudiants africains en recherche d’excellence, fondé par des fonds privées en Afrique du Sud.

Les financements extérieurs, appelés « aide publique au développement » (APD), représentaient en Afrique subsaharienne 45,7 milliards d’US$ (courant) en 2015 contre 44,6 en 2010, ce qui signifie une faible hausse entre ces deux dates. Mais cela ne signifie pas une hausse des aides à l’éducation, bien au contraire, la part des APD pour l’éducation a pour sa part baissé entre ces deux périodes, passant de 10% du total des APD à 6,9%.

Il faut savoir que 6,9% des APD allouées à l’éducation en 2015 représentent une valeur de 12 milliards de US$, dont 5,2 pour l’éducation de base et 2,2 pour l’éducation secondaire. Ces valeurs peuvent paraître faibles par rapport à l’ensemble des APD, mais sachant que l’écart en termes de retard sur l’éducation est le plus grand dans cette région, il est important de noter que l’Afrique subsaharienne ne reçoit que 26% de l’aide à l’éducation de base au niveau mondial en 2015.

Si les financements extérieurs ont baissé ces dernières années sans pour autant que l’investissement des États n’ait été suivi d’une hausse, on peut se dire que l’investissement par tête a dû baisser. Ils ont donc une part non négligeable dans l’éducation qui, s’ils venaient à diminuer, pourrait faire ralentir le développement de l’éducation dans la zone, alors qu’il est d’actualité qu’il en est l’un des objectifs majeurs.

Au niveau où l’on peut observer une régression dans les financements extérieurs ces dernières années, la question n’est en effet plus de savoir s’il y a assez d’investissements par les États ou les aides extérieures, mais s’ils sont efficaces et ont a permis une réelle amélioration de l’éducation. À l’image du Rwanda ou du Botswana, pays dans lesquels on peut observer une de véritables progrès au sein du système éducatif, les autres pays d’Afrique subsaharienne ont peut-être eux aussi tout intérêt à diminuer leur dépendance aux financements extérieurs, cela même si le taux de scolarisation en Afrique subsaharienne a bien évolué à la hausse ces 20 dernières années.

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Rédacteur: Opolo Holtz, étudiant en économie à l’Université Panthéon-Sorbonne et membre actif d’ESMA.

Sources

Banque Mondiale
(https://donnees.banquemondiale.org)
Unesco 
(http://uis.unesco.org/fr/topic/education-en-afrique?fbclid=IwAR1rno_Atu0QpFiMCjFVLgcVNq8Gv_R2ICDhLCR48fi4NhnoH6_0VTXf9YI )
France Info
(  https://www.francetvinfo.fr/monde/afrique/societe-africaine/le-financement-de-l-education-en-afrique-subsaharienne-les-chiffres-parlent_3053933.html?fbclid=IwAR0mkpTyoXE5qbY1NEfW_rH4AETR3DiCxMm99MJK53QeibVtjruUzFnqBh0 )
AfrAsia Bank
(https://www.afrasiabank.com/fr )
Fonds Monétaire International
(https://www.imf.org/en/Data)

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