Histoire politique et grandes tendances du pentecôtisme en Afrique

Depuis le tournant des années 2000 les églises dites « du réveil » fleurissent sur le continent autant que dans les grandes métropoles européennes, rassemblant de nombreux fidèles d’origine africaine. Ces reborn christians alimentent des mouvements charismatiques, dont l’influence politique toujours grandissante interroge quant à leurs origines et à leur consistance. Alors que la plupart de ces mouvements sont issus du pentecôtisme, le continent africain se fait depuis quelques années le lieu de production d’une nouvelle manière de vivre la foi chrétienne qui, même si elle s’en inspire, rompt avec le pentecôtisme importé par les missionnaires européens et états-uniens. Au point que les caractéristiques de ces mouvements originellement pentecôtistes tendent maintenant à se retrouver dans des églises catholiques en Afrique. Pour appréhender la diversité et l’influence de ces mouvements chrétiens qualifiés de charismatiques, il est nécessaire de revenir sur leur histoire et sur leur inscription politique dans les sociétés africaines. Qu’est-ce que le pentecôtisme ? Comment est-il né et s’est-il diffusé en Afrique ? mais aussi de quelle appropriation a-t-il fait l’objet de la part des populations locales, et comment expliquer ses transformations contemporaines et son succès ?

 

Du méthodisme de Georges Whitefield et des frères Wesley au réveil d’Azuza

Le pentecôtisme est avant tout un mouvement protestant. Le protestantisme se distingue du catholicisme après la Réforme en Europe, par l’idée centrale que le croyant aurait un rapport personnel et individuel avec Dieu, qui se passe de la médiation d’un clergé. Il n’y a pas, pour les protestants, d’incarnation de Dieu sur Terre. Les églises pentecôtistes sont donc traditionnellement congrégationalistes, c’est-à-dire organisées en églises locales plus ou moins indépendantes les unes des autres, de manière non hiérarchisée.

A la fin du 18ème siècle, Georges Whitefield et John Wesley, membres du « Holy Club » de l’université Oxford, réinventent la pratique de la foi protestante en créant le méthodisme, qui devient le principal mouvement du Grand réveil de Grande Bretagne. Prêché dans la misère des cités ouvrières laissées à l’abandon par l’institution de l’Église, qui en est absente au moment de la révolution industrielle britannique, elle met l’accent sur le rapport personnel du croyant avec Dieu, et insiste sur la perfection chrétienne devant habiter ses actes quotidiens.  En 1784 John Wesley fait du méthodisme une Eglise indépendante, dont les églises sont à partir de 1816, les premières à inclure des esclaves aux Etats-Unis. Aussi, les parlementaires britanniques à l’origine de la campagne pour l’abolition de l’esclavage étaient eux-mêmes méthodistes.

A partir de 1840 le méthodisme devient la matrice du mouvement de sanctification qui deviendra le pentecôtisme. Mais pendant ce temps, les missions d’exploration à visée coloniales se multiplient. Elles s’accompagnent de missions évangélisatrices qui s’enracinent de plus en plus loin dans le continent africain. Par exemple un certain David Livingstone, congrégationaliste et méthodiste, part pour l’Afrique du Sud avec la London Missionary Society, une des nombreuses sociétés missionnaires qui se lancent à l’époque à la conquête des âmes africaines, sur fond de concurrence des Églises… et des empires.

Cependant c’est aux Etats-Unis qu’un nouveau courant va, en se dissociant des méthodistes, être à l’origine de ce qu’on l’on connaît aujourd’hui sous le nom de pentecôtisme. Dans les années 1890 au Kansas, un jeune étudiant d’origine modeste devient pasteur dans une église méthodiste après avoir survécu à la maladie, une guérison qu’il attribue à un miracle du Christ. C’est sur la base de ce miracle qu’en 1900, à Topeka dans le Kansas, que Charles Praham crée le pentecôtisme après être entré en désaccord avec son institution. Le Mouvement de Topeka introduit une troisième sanctification (en plus de celles répandues du baptême et de la communion) : le baptême du Saint-Esprit. Cette sanctification s’inspire du récit biblique de la Pentecôte, épisode lors duquel au cinquième jour après Pâques, les premiers disciples de Jésus de Nazareth auraient reçu l’Esprit saint. Cette inspiration divine les aurait pourvus de langues de feu qui leur permettaient de s’exprimer dans d’autres langues que le galiléen. Elle consiste donc à « renaître en le Christ » en recevant le Saint-Esprit. Elle se traduit dans la xénoglossie, le « parler en langues », qui consiste selon Parham, à parler dans des langues existantes mais étrangères. Le pentecôtisme est né de ces deux apports singuliers : la sanctification par le Saint-Esprit et par extension les miracles qu’on lui associe, et la pratique du « parler en langue ».

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William Joseph SEYMOUR

 

Mais en 1906 a lieu un deuxième réveil bien plus emblématique : le réveil d’Azuza. William Joseph Seymour, un pasteur africain-américain issu d’une ancienne famille d’esclaves, après avoir été formé par Parham,  utilise cet enseignement pour lutter en faveur de l’égalité raciale. Il fonde l’Eglise d’Azuza Street (banlieue de Los Angeles), où Noirs et  Blancs prient ensemble en plein contexte de ségrégation. Cet engagement et la pratique de la glossolalie, qui consiste à « parler en langues » qui n’existent pas sur Terre, seront les points de rupture du réveil d’Azuza avec Parham. 

 

Trois vagues de diffusion et de transformation du pentecôtisme : une globalisation polycentrée[2]

Mais les Africains ne sont pas passifs dans la réception de cette nouvelle foi. L’appropriation dont fait l’objet le pentecôtisme, et même les autres courants venus évangéliser l’Afrique avant lui, témoigne de transformations propres à chaque société et à chaque régime colonial, opérées par les Africains. Plus ou moins directement, ces nouvelles églises offrent souvent un espace de contestation du joug colonial, et une plus grande liberté, au moins spirituelle, pour les individus. Ainsi certains auteurs[5] n’hésitent pas à ranger le Kimbanguisme, religion inventée par Simon Kimbangu,

un prophète charismatique baptisé et évangélisé par des protestants britanniques, dans les « églises indépendantes à tendance pentecôtiste, dites spirituelles ». Or, cette tendance pentecôtiste n’est pas une « marque importée » depuis l’étranger, mais bien le fruit de l’engagement spirituel de Simon Kimbangu dans le contexte du régime de la trinité coloniale belge[6] qui faisait régner le désespoir, et pour la lutte contre les pratiques de sorcellerie.

Les églises pentecôtistes « classiques, dépendantes ou indépendantes »[7] directement issues du réveil d’Azuza, se développent davantage en Afrique à partir de la fin des années 1960, et au début des années 1970. Elles résultent de l’envoi de missions depuis les Etats-Unis au Libéria et les pays anglophones nouvellement indépendants (Ghana, Nigéria) dans l’Afrique de l’ouest et autour du Golfe de Guinée, qui emploient des méthodes d’évangélisation assez classiques. C’est en grande partie les diasporas issues de pays anglophones vivant dans les pays francophones limitrophes qui vont permettre cette deuxième vague de diffusion du pentecôtisme. Appelée « vague de la sainteté », elle prône plutôt l’ascétisme dans le monde, bien qu’elle ne puisse s’analyser indépendamment de son contexte politique : décolonisation, mouvements nationalistes et panafricanistes. Elles peuvent d’ailleurs être fondées par des allogènes comme la Church of Pentecost au Ghana (la principale encore aujourd’hui) fondée par un Écossais, mais ces Églises connaissent ensuite des ruptures à mesure que les Africains s’approprient l’idéologie et créent leurs propres églises. Le pentecôtisme vit donc une globalisation polycentrée[8], en ce que sa diffusion repose principalement sur des réseaux transnationaux de missions européennes puis américaines, mais que l’appropriation dont il a fait l’objet par les populations locales a introduit des nouveautés qui se diffusent à leur tour de manière transnationale.

Le pentecôtisme tel qu’on le connaît en Afrique aujourd’hui est issu de cette appropriation par la population. La troisième vague du pentecôtisme engendre de profondes transformations, au point qu’apparaissent de nouvelles églises qualifiées de néo pentecôtistes. Elles se multiplient dans les années 1990, suite à ce que Cédric Mayrargue appelle une « indigénisation du mouvement pentecôtiste », qui fait de l’Afrique un lieu de production du pentecôtisme. Il s’agit des mouvements du réveil, dont les fidèles s’autoqualifient de reborn christians. Concrètement, les premiers à se convertir à ces mouvements ont été les groupes sociaux les plus pauvres, frappés de plein fouet par l’inflation et les crises économiques résultant des programmes néolibéraux d’ajustement structurel du Fond Monétaire International et de la Banque Mondiale. Un autre élément de contexte est l’antagonisme religieux sur un même territoire entre le christianisme et l’Islam. Mais au tournant des années 1990, le désenchantement des Africains après les échecs du nationalisme décolonial crée un appel d’air de plus pour la contestation des grands régimes autoritaires en Afrique. Tantôt cette contestation ouvrira un processus de démocratisation, tantôt au contraire elle aura pour effet de durcir davantage le régime, ou encore fera sombrer certains pays dans la guerre civile. Le contexte n’est pas seulement celui d’une crise politique, économique, religieuse, mais bien celui d’une perte de sens globale.

 

« Le miracle est à la théologie ce que l’exception est à la loi »[9]

Ces nouveaux mouvements rompent avec un certain nombre de caractéristiques du pentecôtisme d’Azuza, et embrassent les problématiques sociales qui leur sont contemporaines. Dans ce moment marqué par le désespoir des plus démunis, ils insistent sur les miracles, en ayant pour principe la contemporanéité du fidèle au Christ. La venue (ou non) de ces miracles s’inscrit dès lors dans une lecture très simple, dichotomique, et surtout manichéenne du monde, qui diabolise le passé colonial autant que postcolonial. La rupture avec l’ascétisme se manifeste dans la doctrine de la foi ou de la prospérité, qui correspond au passage d’un ascétisme dans le monde à la logique du « Name it, claim it ». Elle prône l’idée que les bons fidèles du Christ seraient récompensés non pas seulement dans l’au-delà mais d’ores et déjà dans leur vie mortelle. Être un bon fidèle au quotidien selon les préceptes pentecôtistes, invoquer le Christ, en appeler et croire à ses miracles, suffiraient alors pour voir son bonheur exaucé (name it). Mais aussi ce bonheur n’aurait-il pas à rester cacher, ou à n’être que spirituel, mais bien matériel et acclamé (claim it). Le raisonnement sous-jacent s’appuie sur un passage de la bible, Marc 10 :29-30 : « il n’est personne qui ayant quitté à cause moi et de la bonne nouvelle, sa maison, ses frères, ses sœurs, ou sa mère ou son père ou ses enfants, ne reçoivent au centuple présentement dans ce siècle [la même chose] avec des persécutions, et dans le siècle à venir la vie éternelle ». A l’opposé de l’ascèse, l’enrichissement est célébré sous condition qu’il vienne du Saint Esprit. La prospérité matérielle devient alors la manifestation de la réception du Saint Esprit, d’ordre miraculeux, c’est-à-dire de la renaissance dans le Christ. Alors que les reborn christians peuvent associer l’enrichissement rapide des autres (en particulier de la classe politique) à une alliance avec Satan en s’en tenant à une vision manichéenne, si un reborn christian bénéficie du même enrichissement, cela pourra être perçu comme une preuve de son alliance avec le Saint Esprit.[10] Ces mouvements néo-pentecôtistes laissent par ailleurs un peu à l’abandon la glossolalie, un des piliers du pentecôtisme venu des Etats-Unis. Leur théologie combine la religion à la psychologie américaine de l’empowerment, et ils se servent largement des moyens de communication modernes, notamment des réseaux sociaux, pour faire du « télévangélisme » qui offre au public une certaine médiatisation des problèmes sociaux, tandis que la migration internationale assure l’activation de réseaux de soutien financiers.

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Il est aisé de voir les dérives interprétatives que ces transformations contemporaines du pentecôtisme peuvent amener, et la reconfiguration des rapports du pentecôtisme avec le politique et avec l’État qui en résulterait. La vision manichéenne du néo-pentecôtisme, originellement dans un but de dénonciation de politique du ventre[11], a elle-même été rapidement appropriée par une élite dirigeante. Or, si cette nouvelle grille de lecture du social offre effectivement aux plus pauvres l’espoir d’être heureux, elle se déploie aussi dans une grammaire qui permet aussi aux classes dominantes de conserver leur richesse tout en la légitimant par un discours religieux. Mais plus encore, au besoin des masses de croire au surnaturel semble correspondre un besoin des élites de se légitimer pour que leurs positions d’accumulation ne soient pas interprétées comme l’effet d’un pacte avec le diable, mais comme le résultat d’un miracle[12]. Le vrai miracle devient alors la valeur de son argent, et l’argent participe à l’entretien et à la légitimation de ces mouvements charismatiques dont certains pratiquent la semence (levée d’argent auprès des fidèles). Cet argent rime avec pouvoir quand il est investi dans la santé ou encore l’éducation, particulièrement compte tenu du fait qu’il arrive que les églises pourvoient des services aux populations qui ne seraient que trop peu fournis par l’État.

La légitimation des mouvements charismatiques repose sur la mise en récit des succès individuels de certains reborn christians, qui sont de manière assez ambiguë et confuse, opposés aux corrompus, à ceux dont l’enrichissement serait le fruit d’une alliance avec des forces obscures[13]. Il y a donc un retournement qui s’opère dans la critique dirigée au départ contre la politique du ventre à partir du moment où de nombreux big men parrainent ces églises et se convertissent à ces mouvements charismatiques, qui appuient en retour leur domination parfois de même nature. Les caractéristiques de ces mouvements charismatiques, bien qu’issus de l’histoire du pentecôtisme en Afrique, sont d’ailleurs parfois reprises par des Églises d’autres mouvances[14]. Un paradoxe commun à ces mouvements est donc qu’ils perpétuent encore l’état d’exception qui est pourtant le point de friction d’où avait émergé leur critique. En entretenant à leur tour une nouvelle promesse d’émancipation toujours ajournée, ils permettent malgré tout la continuation de l’exercice du pouvoir selon les mêmes logiques que celles qu’ils dénonçaient à l’origine, faisant ainsi du miracle en théologie, ce que l’exception est à la loi.


[1] Marshall, R., Hibou, B., & Masson, N. (2007). L’explosion des pentecôtismes. Esprit (1940-), (333 (3/4)), 196-207. Retrieved from http://www.jstor.org/stable/24260073

[2] Mayrargue Cédric, « Trajectoires et enjeux contemporains du pentecôtisme en Afrique de l’Ouest », Critique internationale, 2004/1 (no 22), p. 95-109. DOI : 10.3917/crii.022.0095. URL : https://www.cairn.info/revue-critique-internationale-2004-1-page-95.htm

[3] Telles que les Zion Christian Churches

[4] Kalombo Kapuku Sébastien, « La pentecôtisation du protestantisme à Kinshasa », Afrique contemporaine, 2014/4 (n° 252), p. 51-71. DOI : 10.3917/afco.252.0051. URL : https://www.cairn.info/revue-afrique-contemporaine-2014-4-page-51.htm

[5] Lado Ludovic, « Les enjeux du pentecôtisme africain », Études, 2008/7 (Tome 409), p. 61-71. URL : https://www.cairn.info/revue-etudes-2008-7-page-61.htm

[6] Van Reybrouck David, “4. Sous l’empire de l’angoisse” in Congo. Une Histoire. trad. Isabelle Rosselin, Actes Sud, 2012, page 191. La trinité coloniale renvoie à l’alliance de l’administration coloniale belge avec l’église catholique et la compagnie minière du Katanga (pouvoir, Eglise, capital).

[7] Telles que les Assemblées de Dieu

[8] Mayrargue Cédric, « Trajectoires et enjeux contemporains du pentecôtisme en Afrique de l’Ouest », Critique internationale, 2004/1 (no 22), p. 95-109. DOI : 10.3917/crii.022.0095. URL : https://www.cairn.info/revue-critique-internationale-2004-1-page-95.htm

[9] Ruth Marshall

[10] Ibidem

[11] Bayart Jean-François, L’Etat en Afrique, Fayard, 2006

[12] Max Weber Par Laurent Fleury, 2009, 128p, Collection « Que sais-je ? » Presses Universitaires de France

[13] Marshall, R., Hibou, B., & Masson, N. (2007). L’explosion des pentecôtismes. Esprit (1940-), (333 (3/4)), 196-207. Retrieved from http://www.jstor.org/stable/24260073

[14] Lado Ludovic, « Les enjeux du pentecôtisme africain », Études, 2008/7 (Tome 409), p. 61-71. URL : https://www.cairn.info/revue-etudes-2008-7-page-61.htm

 

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Alice Grégoire, Etudiante en M2 Science Politique mention Etudes africaines, ancienne Secrétaire générale d’ESMA (2018-2019)

 

 

 

 

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