Miriam Makeba : le chant comme instrument de paix et de promotion de l’union africaine

Comment un artiste peut porter la voix de toute une nation ? Comment sa musique peut-elle traverser le temps et servir de vecteur de revendications ? Racisme, droits civiques et panafricanisme sont ancrés dans le parcours de Miriam Makeba. Le continent Africain a besoin de ses héros, ceux dont on parlera encore dans 1 siècle. Miriam Makeba fait partie de ceux-là. Femme noire, son parcours est emblématique et mérite qu’on y porte attention. La musique est une arme, Miriam l’a bien comprise. Plongez-vous dans l’histoire de la naissance d’une icône. 

L’apartheid comme contexte de la naissance d’une artiste 

Une enfance ancrée dans un environnement raciste

L’Afrique du Sud des années 30 résonne pour tous comme un moment charnière de l’Histoire. C’est à cette période que naît  Zenzilz Makeba Qgwashu Nguvama, le 4 mars 1932. Quel est ce nom ? Il porte les origines africaines de la future Miriam Makeba qui prendra comme nom de scène la version anglaise de son prénom. L’Afrique du Sud baigne dans le nationalisme afrikaner, et prépare en silence l’avènement de l’apartheid. À ce moment déjà, les noirs subissent les effets de la colonisation ainsi qu’un racisme se retranscrivant même dans les lois. C’est sans doute cela qui forgera plus tard le caractère de Miriam. Un premier événement marque sa vie : à 18 jours seulement sa mère est envoyée en prison, alors qu’elle tente seulement de faire bouillir la marmite. Le motif ? Elle gagne son argent en brassant de la bière, or que la justice condamne formellement toute personne de couleur noire qui consomme, frabrique ou posséde de l’alcool. 

L’enfance de l’artiste en devenir n’est pas simple : Miriam souffre de l’absence de ses parents. En effet, sa mère fait le ménage pour des blancs toute la semaine tandis que son père décède quand elle a 6 ans. Mais la musique entre très tôt dans son quotidien, comme une lueur d’espoir et un rayonnement de bonheur. Elle prend pour habitude de participer aux répétitions de la chorale de sa plus grande sœur. La petite Miriam est talentueuse et ne cessera de le prouver tout au long de sa vie. Elle finit par intégrer la chorale elle-même, et participe déjà très tôt à des concours. Ce qu’elle préfère, c’est chanter en langue sotho, xhosa ou encore zulu. Ces langues ne sont compréhensibles que par les siens, les blancs eux, n’arrivent pas à percer la portée des paroles qu’elle chantonne mélodieusement contre la colonisation notamment. 

Les premiers pas dans la musique de Mama Africa, au coeur de l’Afrique du Sud

Miriam est brillante. Elle l’est tellement qu’elle chante également dans la chorale de son lycée où ses prestations vocales sont très appréciées. Un moment clé nous annonce déjà la couleur de son futur parcours. Lorsqu’on lui propose d’interpréter un solo pour la venue du roi George d’Angleterre en Afrique du Sud, elle choisit une chanson impactante, mais bien trop dérangeante pour un public blanc: “Quelle triste vie pour un homme noir”. Les paroles sont explicites “Réveille toi mon peuple, unissons nous”. L’oppression du régime sud africain est telle que la censure s’applique automatiquement : cérémonie annulée et chanson interdite. Ce n’est que le début d’une carrière profondément politique…

Le parcours de Miriam n’est pas rose. Sa vie privée détonne avec son succès en devenir. Mariée dans les années 50 et mère d’un enfant, c’est une femme battue qui doit faire face aux coups de son mari. Cherchant à fuir son ex-conjoint, elle revient au chant pour se ressourcer, et commence à chanter pour les Cuban Brothers, groupe qui connaît un petit succès local. 

Le succès lui ouvre ses portes un soir où elle se produit avec le groupe : Nathan Mdledle la repère. Coup de chance ? Il est le leader du groupe Manhattan Brothers, et a joué un rôle majeur dans l’évolution de la musique dans le pays. C’est lui qui domine les charts durant les années 40, et à présent, il décide de proposer à Miriam de devenir la voix féminine du groupe. C’est là que Zenzile prend le nom anglais Miriam, plus mainstream, sur les conseils de son entourage proche.

Miriam Makeba and the Manhattan Brothers, izemagazine.com

Elle rejoint par la suite le groupe féminin nommé The Skylarks, où elle chante du kwela jazz, genre en vogue en Afrique du Sud. Elle utilise la musique pour relater la situation dans laquelle les minorités se trouvent, subissant une politique fortement destructrice. La chanson Remember Sophiatown par exemple fait référence au mois de février 1955, durant lequel le quartier de Sophiatown à Johannesburg a été le théâtre d’une expulsion massive forcée d’habitants noirs, métis, indiens et chinois. C’était pourtant le dernier espace de mixité dans la ville. 

En 1959, après divers succès musicaux, Miriam est réellement mise sur le devant de la scène, encore une fois avec un projet choc. Elle a le don de faire parler d’elle et participer à l’art dans sa forme la plus engagée. Come Back Africa, c’est le nom du film qui va la propulser à l’international. Encore une fois elle a attiré l’œil d’un homme important, il s’agit cette fois de Lionel Rogosin, réalisateur, qui lui propose d’interpréter son propre rôle dans ce film dénonçant l’oppression du peuple indigène sud-africain. Il est tourné de manière clandestine, bien trop dérangeant pour les dirigeants du pays qui encore une fois usent de leur leur pouvoir pour brider la liberté d’expression. 

C’est là que Mama Afrika prend son envol : le film est nominé à l’international pour diverses récompenses. Elle demande alors un passeport et s’apprête à élargir les frontières du possible. 

Une carrière internationale et politique

Les Etats Unis : une porte vers le succès 

Après son apparition dans le film, elle voyage hors de l’Afrique du Sud : Londres, Paris…. Toutes les grandes capitales lui ouvrent leurs portes. Mais c’est alors que le film tant polémique remporte le prix de la critique lors du festival international du film en Italie en 1960. Cela marque un énième succès dans la carrière de la jeune femme, sauf que cette fois là, les États-Unis sont à la clé. Elle est reçue dans le Steve Allen Show par exemple, preuve que sa notoriété n’est plus à prouver. Après sa rencontre avec le chanteur afro-américain Harry Belafonte qui la prend sous sa protection, elle enregistre un album auprès du fameux label RCA en 1960. Sa musique, Miriam la veut au cœur de la diversité. Elle enregistre en kiswahili ou encore en indonésien, en portugais ou encore même en français, et s’inspire de toutes les régions du monde pour produire une musique internationale. 

Un engagement pour le panafricanisme

Miriam Makeba a fait preuve tout au long de sa carrière d’un intérêt vif pour l’Afrique, ce continent si vaste et riche culturellement. Elle porte à cœur d’unir les différentes régions qui forment le continent, fervente adhérente du panafricanisme. Pourtant, certains ne semblent pas vouloir d’elle : Miriam est déchue de sa nationalité après sa participation au film Come Back Africa et ne peut plus revenir sur sa terre natale. Coup de massue, pour celle qui tenait tant à son pays. Elle n’est toutefois pas dépourvue de ressources, car le président guinéen Ahmed Sékou Touré, anticolonialiste, se sent proche de Miriam et de son parcours, et finit par lui délivrer un passeport diplomatique. Elle ne cessera jamais de regretter le fait que l’Afrique ne dispose pas d’une langue commune, elle s’engage donc à valoriser le continent. En 1965, aux côtés d’Harry Belafonte, elle sort l’album An evening with Harry Belafonte and Miriam Makeba enregistré majoritairement en zoulou, sotho et swahili. L’album remporte le Grammy award du meilleur disque folk. Avec des morceaux tels que “Give us our land” elle s’attache à dénoncer le système oppresseur et violent que représente l’apartheid. 

Son engagement, elle le tient également en se produisant à des festivals particulièrement symboliques. En 1969, elle participe au Festival Panafricain d’Alger pour marquer l’indépendance algérienne et son appartenance au continent. Miriam chuchote à l’oreille des dirigeants africains, après la Guinée c’est l’Algérie qui lui ouvre ses bras. En effet, à l’occasion du festival, le président algérien Houari Boumediene, impliqué dans la promotion du panafricanisme, lui remet un passeport diplomatique. Elle partage sa volonté de promouvoir “les réalités de la culture africaine et le rôle de la culture africaine dans la libération nationale”. 

Son engagement dans la musique semble être reconnu, admiré : Miriam est une personnalité qui va rentrer dans l’histoire. Elle obtient le trophée de la femme du siècle ou encore le prix du Conseil international de la musique de l’UNESCO en 1993, preuve que sa voix est entendue et récompensée. 

Politiquement son engagement et sa détermination sont si forts qu’elle refuse de céder son indépendance au moindre dirigeant politique. Plusieurs exemples sont poignants. Elle devient au début des années 70 persona non grata au Sénégal,  car l’État n’accepte pas son soutien fort pour le président de la République de Guinée Sékou Touré. Entre autres, en 1967 après la victoire d’Israël durant la guerre des 6 jours, elle refuse de retirer un chant en hébreu de sa discographie à la demande des délégués de nations africaines à l’ONU qui tendent à défendre l’Égypte. Miriam est donc une femme qu’on ne soumet pas… Harry Belafonte avec qui elle chante depuis plusieurs années le comprend bien et décide de couper les ponts avec cette dernière après sa dernière décision qu’il ne comprend pas. 

Un engagement pour les droits civiques 

Un homme va participer à faire de Miriam Makeba une réelle défenseuse des droits civiques. Il se nomme Stokely Carmichael, elle le rencontre à Conakry au congrès de l’OUE. Il est le président du Student Nonviolent Coordinating Committee (SNCC), un mouvement d’étudiants noirs en colère qui ne cherchent qu’à obtenir leur droit via des actions pacifiques. Elle repart aux États-Unis à ses côtés avant que celui-ci ne se radicalise de plus en plus aux côtés du Black Panther Party à la fin des années 60. Miriam Makeba va pâtir des positions politiques très affirmées de son compagnon, car en 1968 son label RCA la lâche, avant qu’elle doive quitter le pays. Elle revit le même traumatisme qu’elle a vécu des années auparavant, quand elle a subi un exil forcé d’Afrique du Sud. En effet, son visa américain n’est pas reconduit, ce qui la contraint à revenir en Guinée. C’est une fervente défenseuse des droits civiques néanmoins elle est en profond désaccord avec Carmichael sur la manière dont il veut réaliser la révolution, qui selon elle divise plus qu’elle ne rapproche. Miriam a toujours eu l’habitude de “construire et unir les gens”, via la musique. Si l’on peut retenir une chanson marquant son implication dans ce combat, c’est bien Brother Malcolm, qu’elle a interprété peu après la mort de Malcolm X en 1965 pour lui rendre hommage et rappeler l’importance de la cause qu’il défendait. 

Miriam Makeba et Stokely Carmichael, pan african music.com 

Une prospérité incontestable 

Pata Pata : un titre utilisé dans le cadre de la lutte contre le coronavirus 

Le meilleur moyen de se rendre compte de l’influence d’un artiste, c’est de regarder la prospérité au-delà de sa mort et la fin de sa carrière. Dans le cas de Miriam, ses titres ont souvent été repris. On peut citer l’exemple du titre Pata pata, sorti en 1967. À l’origine, le titre n’est qu’une simple comptine, mais une valeur politique lui a été attribuée au fil du temps. Le rythme se veut dansant, mais c’est un cri contre l’apartheid sud-africain. Aujourd’hui, le titre est encore repris, pour la lutte contre le covid par exemple. En effet, l’artiste Angélique Kidjo a adapté le titre grâce à de nouvelles paroles pour aider à la non propagation du virus dont on entend tant parler ces 2 dernières années. On peut entendre l’artiste chanter à présent  “En cette époque de coronavirus, ce n’est pas le temps du toucher…Tout le monde peut aider à combattre Covid-19. Restez à la maison et attendez…”. 

Ainsi, cette reprise nous montre la portée de la discographie de Miriam. La musique est un vecteur d’unité, de courage, de vivre ensemble. Lutter contre le covid ou encore  le racisme n’est pas réservé aux politiques, il est possible à tous de le faire, avec une voix, un instrument. Il suffit d’y croire. Décédé en 2008 après un concert en Italie, le parcours de Mama Afrika nous inspire encore, et nous prouve que la musique est un art engagé. 


Bahati ALI, L3 science-politique et rédactrice en Chef 

Sources

Cagnolari, Vladimir, “Miriam Makeba, la lutte continue”, Pan African Music, 4 mars 2022

Feld, Steven,  « Une si douce berceuse pour la World Music », L’Homme, n° 171-172, 2004, p. 389-408.

Foka, Alain, Archives d’Afrique : portrait de Miriam Makeba – partie 3/4, RFI, 7 janvier 2012, 

Le Parisien avec AFP, “Covid-19: le tube “Pata Pata” adapté pour lutter contre la propagation du coronavirus”,  23 avril 2020

L’Histoire par les femmes, “Miriam Makeba, une voix contre l’apartheid,” 2019

Mouity-Nzamba, Michaël. « Miriam Makeba : une vie au service d’un art engagé », Bulletin de l’Institut Pierre Renouvin, vol. 40, no. 2, 2014, pp. 111-125.

RFI, Portrait de Miriam Makeba, 30 septembre 2014

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