« Couleurs d’Afrique et d’Ici » : un exemple de lutte contre l’excision

Entretien avec Rama Rigolot, présidente de « Couleurs d’Afrique et d’Ici »

Propos recueillis par Mathieu Longlade

Le 6 février 2019, à l’occasion de la journée internationale contre l’excision, je me rends à la conférence de SOS Africaines en danger, avec d’autres camarades d’ESMA, qui porte sur la question de l’excision, en présence de victimes, et sur le projet des school bus mené par l’association. C’est à cette occasion que je fais la connaissance de Rama Rigolot, présidente de Couleurs d’Afrique et d’ici, une association qui tient un stand de produits wax, dont la fabrication est localisée au Sénégal et dont les bénéfices de vente sont reversés aux femmes victimes d’excision. C’est donc saisi de curiosité par le fonctionnement de cette association que je lui propose un entretien afin d’en savoir davantage, qu’elle accepte. Ainsi, par cet article, je vous invite à découvrir le portrait de Rama Rigolot.

Notre entretien s’est déroulé  dans l’Hôtel Marriott, dans le 14e arrondissement de Paris.

« Les couleurs d’Afrique sont belles mais il y a des couleurs qui pour moi symbolisent l’excision, la couleur grise, noire et rouge bordeaux

 

Rama Rigolot est née au Sénégal, a poursuivi ses études à Londres et est cheffe d’entreprise depuis 20 ans dans une agence de décoration d’intérieur qu’elle a fondé et qui a pour but de faire revivre des vieilles écoles, de décorer des églises et des maisons de prestiges, ou encore de participer à la création de pochoirs pour des artistes. Elle a créé avec d’autres partenaires l’association “Couleurs d’Afrique et d’ici” en 2014 dans le but de combattre l’excision. Elle-même victime d’excision à l’âge de 3 ans, phénomène qui frappe des millions de jeunes filles à travers le monde, il lui semblait indispensable d’oeuvrer dans la lutte contre l’excision : “L’objectif au départ était d’aider, au Sénégal, les mamans illettrées et qui s’accrochent à leurs coutumes sans en connaître les conséquences (de l’excision)”.

photo rama rigolot
Rama Rigolot

Les femmes qu’elle souhaitait sensibiliser travaillent dans les marchés et dans les champs, le but de Mme Rigolot était de pourvoir à leurs besoins économiques en échange d’un pacte : ”La première chose que j’ai constatée c’est cette défaillance économique, elles ne peuvent pas vous écouter quand elles savent que demain il faut qu’elles aillent au champ (…) A partir de ce moment je me suis dit si je veux vraiment me faire entendre il faut que je créé une solution qui peut être du donnant donnant (…) moi je les aide pour les épauler dans la partie économique et d’autre part, pour me faire entendre par rapport à l’excision”.

 

Interpellé par le nom original de l’association, je la questionne sur ce point et elle me répond aussitôt  :  “Couleurs d’ici renvoie à la France, là où je vis. Les couleurs qu’on choisit en Afrique sont des couleurs que nos militantes ici (en France) et les personnes qui nous achètent aiment. Cela signifie que les couleurs d’ici (en France) ne sont pas celles de l’excision (Il faut entendre par “couleurs” les valeurs, le combat contre l’excision est représenté par des “couleurs” aimées par les militantes et les acheteurs). Les couleurs d’Afrique sont belles mais il y a des couleurs qui pour moi symbolisent l’excision, la couleur grise, noire et rouge bordeaux ” Si le bordeaux rappelle immédiatement la couleur du sang, je la questionne sur la raison pour laquelle elle évoque le noir et le gris :“le noir et le gris c’est au moment de la cicatrisation de l’excision, cela a un sens, ces couleurs on ne les aime pas ici, il s’agit de symboliser en couleur  la douleur de ce qui se passe après l’excision jusqu’à la cicatrisation”.

Hé ta fille commence à grandir il faut l’exciser avant qu’elle grandisse et qu’elle fréquente les garçons

 

L’association Couleurs d’Afrique et d’Ici est composée d’une équipe de femmes, dont  une trésorière, une secrétaire, une présidente et une vice-présidente. La plupart sont des françaises qui se sont engagées. Couleurs d’Afrique et d’Ici mène des actions de terrain au Sénégal par le biais de son équipe sur place, composée notamment du Dr Mdoye, médecin gynécologue formé par le Dr Foldès (qui soigne les victimes d’excision), qui mène  des campagnes de sensibilisation et d’évaluation en observant le nombre de petites filles nées, le nombre de personnes qui ont respecté le pacte, le nombre d’objets fabriqués, puis qui envoie toute ces informations à l’antenne principale en France.

 

logos couleurs d'afrique et d'ici

 

Les campagnes de sensibilisation de l’association passent par la projection du documentaire L’excision : le plaisir interdit qui traite des  conséquences de l’excision, et qui a été produit  par la clinique de St Germain en Laye où le chirurgien Pierre Foldès, inventeur de la chirurgie réparatrice, intervient. Il s’agit de faire comprendre les conséquences que cela peut avoir pour l’accouchement ou pour les rapports sexuels. Puis, des ateliers débats peuvent avoir lieu, durant lesquels certaines femmes tentent de légitimer la pratique de l’excision par la tradition puisque cela se faisait par les mères, les arrières grands mères etc. Je demande ensuite à Rama Rigolot de m’expliquer concrètement comment son association lutte contre ce fléau. Sur le plan de la religion, il s’agit de faire comprendre à ces femmes qu’elles ont défié Dieu en retirant ce qu’il a fait parfaitement “Elles disent que si notre fille meurt au moment de l’excision c’est que Dieu l’a voulu comme ça”, puis leur position évolue et elles comprennent peu à peu le mal qui peut être fait : “Après, nous on pense que tous les moyens sont bons pour qu’elles arrêtent. On trouve des arguments en fonction de l’endroit où on est, si les gens sont très croyants”. La sensibilisation auprès des chefs des villages, des imams et des hommes de manière générale est très importante. L’excision concerne des femmes qui en excisent d’autres alors je l’interroge sur la place des hommes dans cette lutte : “Eux ils ne sont pas responsables ! Il y a plein de gens qui les accusent en disant que ce sont les hommes qui disent “excisez-les !” (…) Je demande aux imams s’ils sont au courant que ce sont eux qui sont accusés de pousser les femmes à exciser leurs filles. Ils disent non nous on est contre ça parce que les filles en meurent elles ont des problèmes, on veut qu’elles soient en vie”. Elle avance alors, avec aplomb, qu’en Afrique c’est toujours la femme qui a le dernier mot, même si l’homme n’est pas d’accord, puisqu’elle tient le foyer. La pression qu’exerce les femmes les unes sur les autres se fait dans la vie de tous les jours, notamment dans les tontines, où ces femmes se disent entre elles : “Hé ta fille commence à grandir il faut l’exciser avant qu’elle grandisse et qu’elle fréquente les garçons”. Leur sensibilisation est donc un enjeu majeur dans la lutte contre l’excision afin de changer ces mentalités.

 

“Non, ça leur rapporte de l’argent ! Vous vous rendez compte ? Vous payez pour que votre fille soit mutilée ! Elles sont payées, mais les prix ne sont pas fixes”.

 

Concernant l’aide économique, ce dernier ne se réalise pas sous forme de don mais de microcrédit. Ce microcrédit, à hauteur de 50 ou 60 euros par mois, permet de mettre en avant les qualités de chaque femme, qu’elles soient dans la couture ou la confection de produits artisanaux. Il permet, par exemple, à la couturière d’avoir du textile, la machine, le fil ou les aiguilles. Parallèlement, Mme Rigolot fait la transmission entre ces femmes et les goûts des européennes et européens en matière vestimentaire.

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En effet, le remboursement de ce microcrédit est à hauteur de 2 euros par femme pour en aider d’autres.  Cette aide permet aussi aux jeunes filles de poursuivre leurs études à Dakar, à d’autres de monter un salon de coiffure équipé du matériel adéquat (mannequins en plastique pour se former à la coiffure par exemple), ou encore d’ouvrir un local pour diverses activités. “J’essaie de faire en sorte que cela fasse une superbe grande famille élargie où il y a de la bienveillance, de l’entraide et de l’écoute, et l’acceptation que l’excision doit s’arrêter”. De plus, il se trouve que tous les produits fabriqués appartiennent aux femmes qui sont rémunérées en fonction de la somme des produits qu’elles ont fabriqués. Une partie de la richesse produite sert à financer des campagnes de sensibilisation, le matériel pour les chirurgiens (ex : bistouris) ou encore de nouveaux projets comme le forage d’un puits dans le village de Thilé au Sénégal. Ainsi, à travers une aide économique alliée à la sensibilisation autour de l’excision, Mme Rigolot mène audacieusement son combat des deux côtés de la Méditerranée. Quand elle a rencontré les bénéficiaires du programme, le ton était donné : “Il y a des choses que vous continuez à faire et qui ne doivent plus se faire (…) moi je peux vous aider économiquement, à mon niveau avec l’association Couleurs d’Afrique et d’Ici, mais en contrepartie, je vais aller voir les cadres de chantier, les infirmières, les médecins qui vous font accoucher et tous ensemble on va s’engager pour que cette petite fille qui va naître ne sera pas excisée ”.

L’excision se pratique beaucoup dans le nord du Sénégal, là où Mme Rigolot a grandi. En 2010, l’excision frappe une femme sur trois dans ce pays parmi les femmes âgées entre 15 et 49 ans. C’est dans cette région du pays, dans les villages, qu’elle sait par l’intermédiaire de proches que l’excision se pratique tous les jours et que des jeunes filles en meurent. Ainsi, elle se rend sur place et va à la rencontre des exciseuses, des femmes qui en ont fait leur métier. Je lui demande donc s’il serait exagéré de parler d’économie de l’excision, elle me répond : “Non, ça leur rapporte de l’argent ! Vous vous rendez compte ? Vous payez pour que votre fille soit mutilée ! Elles sont payées, mais les prix ne sont pas fixes”. Elle confirme qu’il est difficile d’établir un montant clair puisque cela dépend du village, de la personne et de la richesse de la famille. Protéger l’intégrité corporelle des jeunes filles est la première mission de Couleurs d’Afrique et d’Ici, toutefois, il est déjà arrivé que le pacte soit brisé par des femmes, comme en 2017 : “une dame a bénéficié du prêt et malgré tout elle l’a quand même fait et nous on a été obligé de récupérer l’argent puis de l’exclure de la coopérative”. Aucune condamnation judiciaire n’a été prononcée contre cette dame, seul un blâme du chef du village et une lettre de représailles des autorités ont servi de sanction, et une demande d’excuse de cette femme devant le chef du village. Devant cet événement, Mme Rigolot a cherché à savoir pourquoi cette dame en est arrivée là malgré leur accord et le consensus qu’il y avait autour de l’arrêt de l’excision. La réponse qu’elle obtenue fut glaçante “c’était sous l’effet de la pression, sa fille devait aller chez sa soeur pour y habiter et elle avait peur que sa fille tombe enceinte et c’est pour cela qu’elle a fait la mutilation(…) je l’ai su parce qu’il y a eu une dénonciation et la dame a décidé de le faire elle-même parce que l’ex-exciseuse n’a pas voulu le faire”

 

“Elles se sont faites réparer pour dire qu’elles ne sont pas d’accord avec l’excision et non pas pour retrouver du plaisir”

 

Des témoignages qu’elle reçoit notamment de jeunes étudiantes ayant des douleurs, des complications dans leurs rapports sexuels ou des difficultés de concentration, elle écoute puis oriente ces victimes vers le centre hospitalier de St Germain en Laye où il est conseillé de faire un accompagnement psychologique avant l’opération. Puis, après consultation du docteur Foldès, qui en un examen peut voir quel type d’excision a été réalisé, l’opération, qui coûte 500 euros, peut avoir lieu. “Elles se sont faites réparer pour dire qu’elles ne sont pas d’accord avec l’excision et non pas pour retrouver du plaisir” confie -t-elle en évoquant que d’autres filles ont un autre discours : “La fille me disait que “c’est normal que je sois excisée, toutes les femmes en Guinée le sont et je ne suis pas contre l’excision. Mais en Europe on voit que ce n’est pas normal d’avoir ces souffrances, les femmes ne souffrent pas. En Guinée, la souffrance d’une femme est normale, ma soeur souffrait, ma cousine souffrait, ce que je souhaite c’est de ne plus souffrir. A l’université je n’explore pas ma sexualité, je suis enfermée sur moi même, quand je rencontre d’autres filles je n’ose pas mettre un mot ” mais il faut savoir que des filles ont fait la chirurgie réparatrice qui l’ont regretté après(..). Mme Rigolot a elle-même fait une chirurgie réparatrice, dans le but aussi de se prononcer contre cette pratique, mais sentant à son tour des modifications dans son corps, elle me confie avoir regretté cette décision. Face à sa réaction, je l’interroge donc sur le paradoxe entre les campagnes qu’elle mène et cette réponse :“Je suis dans cette culpabilité de me dire que j’étais mieux avant, c’est bizarre, ma grand-mère m’a fait une excision symbolique, elle n’a coupé qu’un petit bout, ça fait des années que j’en ai pas parlé… j’ai été excisée certes, mais je ne l’ai pas vécu parce que je n’avais que trois ans, ça m’a traumatisé la réparation, des douleurs que je n’ai jamais vécu, je n’avais pas forcément besoin de le faire  parce que c’est lourd”.

De l’expérience de douleurs qu’elle a connu après l’opération et qui n’existaient pas avant, Rama Rigolot  incite désormais les femmes à consulter les réseaux sociaux et les témoignages divers et variés de jeunes filles qui sont heureuses d’avoir eu recours à la chirurgie réparatrice  ou non. “Une fois, une fille malienne super jolie, à Porte de Versailles, salon Marie Claire, qui voit l’association Couleurs d’Afrique, prend mes coordonnées et m’informe qu’elle s’est faite excisée, réparée et me dit que “cela n’a rien changé je m’étais habituée à une anormalité normale. Avant je connaissais mieux mon corps, je savais où étaient placés mes organes, mais après l’opération j’avais l’impression que l’on m’avait retiré quelque chose”” .

Enfin, l’association a pour projet d’ouvrir prochainement une  galerie dans le Marais, où seront exposés et vendus ses produits, tout en en profitant pour faire de la sensibilisation auprès des passants et des passantes. Les produits de l’association sont consultables sur son site internet où l’on peut trouver des colliers, des sacs, des tissus, des savons ou encore des snood qui sont des écharpes en wax. Avec les pièces de tissus, il est possible de se rendre chez un tailleur sénégalais partenaire de l’association, à Belleville, où il est possible d’avoir une robe, une jupe, un haut à un prix solidaire. Pendant l’été, il est possible de croiser dans la matinée Rama Rigolot dans les marchés parisiens où l’association dispose d’une autorisation de la ville de Paris, et où il sera toujours possible d’aborder la question de l’excision et de soutenir une économie locale.

Photo de Mathieu
Mathieu Longlade Rédacteur pour ESMA

Pour en savoir plus sur “Couleurs d’Afrique et d’ici” : http://couleurs-d-afrique-et-d-ici.fr/

A lire aussi : Mutilations génitales sur les femmes, des pratiques féminicides

 

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