Que retient l’Afrique de son année 2019? Le point politique.

Une volonté générale de changement et de liberté…

 

Lorsque nous avons décidé de démarrer une série d’articles sur les bouleversements qu’a connus l’Afrique en 2019, il nous paraissait évident qu’elle devait se commencer par l’analyse des grands évènements s’étant déroulés dans le domaine politique. En effet, sur ce point, l’année dernière fut riche en rebondissements et en mutations de grande ampleur. Sur ce plan, deux pays ont particulièrement attiré notre attention. Il s’agit ici de l’Algérie et du Soudan. Ces deux pays se sont illustrés en 2019 par la détermination et l’abnégation de leurs peuples dans leur volonté de voir se réaliser leurs désirs de changements et de renouveau politique. Dans ces deux situations, les pouvoirs publics se sont vus dans l’obligation de mettre à exécution les aspirations de la population. L’année précédente a dans les deux cas été synonyme de fin de cycle pour l’ancien système et a donc marqué le début d’une période de transition vers un ordre nouveau. Ainsi, sur le volet politique, l’année 2019 de ces deux pays recoupe de multiples similitudes.

 

La révolution soudanaise 

 

 

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Source : source : Lana H. Haroun @lana_hago / Twitter)

  La révolution soudanaise de 2019 marque elle aussi un moment important de l’année. Rappelons que le Soudan  une place bien particulière au sein du continent africain, à la croisée des influences subsahariennes, mais aussi l’influence du Maghreb et celle du Moyen-Orient. Le Soudan s’est scindé en deux lorsqu’en 2011, le Sud Soudan a pris son indépendancesous la pression du mouvement indépendantiste et à l’issu du référendum d’autodétermination. Malgré l’accord entre les deux Soudan, de fortes tensions demeurent et certaines zones revendiquées par des populations tant du Nord que du Sud restent à être délimitées. Par ailleurs, après la séparation, le Soudan-Nord s’est retrouvé dans une situation économique difficile étant privé d’importantes ressources pétrolières appartenant dès lors au Sud-Soudan. À la tête du pays, Omar el-Bechir, militaire avec le grade de maréchal était arrivé au pouvoir par un coup d’état en 1989. Il installa une véritable dictature fortement liée aux autorités religieuses, aux les libertés politiques drastiquement réduites et avec un contrôle très important pesait sur la population. Omar el-Béchir est destitué le 11 avril 2019 suite aux nombreux mouvements de protestation qui ont touché le pays depuis la fin de l’année 2018. Durant les protestations, les femmes ont joué un rôle crucial dans un pays où leurs droits avaient fortement reculés. On retient notamment le nom d’Alaa Salah qui fut l’icône du mouvement et dont l’image où elle se tient debout sur une voiture en tenue traditionnelle blanche a fait le tour du monde. Durant les révolutions précédentes qui ont mené au renversement du régime, les femmes ont aussi joué un rôle central. Selon Christophe Ayad, le mouvement de rébellion soudanais peut volontiers être rapproché d’autres soulèvement en Afrique et notamment celui en Algérie mais il semblerait que les deux se distinguent quant au procédé employé et à la fin poursuivie. En effet, le mouvement au Soudan est très organisé et politisé, et porteur d’un véritable projet politique ce qui s’explique notamment par l’histoire politique imprégnée par le communisme et le syndicalisme. On espère que le soulèvement populaire du Soudan laissera place à un véritable système démocratique où la population pourra retrouver ses droits fondamentaux ce qui implique de déraciner les des régimes dictatoriaux précédents et d’établir des lois constitutionnelles par la volonté du peuple et favorables à un régime démocratique stable. Par ailleurs, il semble souhaitable qu’un devoir de justice soit rempli et que les atteintes aux libertés fondamentales soient punies par les institutions juridiques. À ce titre, il est attendu que l’ancien dictateur soit jugé par la Cour internationale de Justice pour les crimes commis au Darfour en 2003. Son extradition à la Haye est toutefois refusée par le gouvernement de transition établi en septembre. La justice nationale a, quant à elle, condamné el-Béchir pour corruption ainsi que vingt-sept membres des services de renseignement pour avoir torturé à mort un manifestant durant les contestations.

 

La révolution algérienne

 

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Source : https://www.marxiste.org/international/afrique/algerie/2505-la-revolution-algerienne-a-commence

Le 12 décembre 2019, Abdel Majid Taboun (ancien premier ministre de l’ex chef de l’État Abdelaziz Bouteflika) est élu président de la République après avoir remporté 58,15% des voix dès le premier tour du scrutin. Toutefois, cette victoire d’apparence aisée ne parvient pas à cacher une réalité bien plus contrastée. En effet, tous ceux ayant suivi l’actualité politique algérienne en 2019 ne furent pas réellement étonnés par le fait que cette élection présidentielle s’est illustrée par l’extraordinaire taux d’abstention dont elle fut l’objet. D’après les résultats donnés par le premier ministre du gouvernement de transition (institué depuis la chute d’Abdelaziz Bouteflika), seuls 40% des algériens inscrits sur les listes électorales se sont déplacés aux urnes pour élire le nouveau locataire du palais Palais d’El Mouradia. Il s’agit donc de l’élection présidentielle ayant connu le plus faible taux de participation depuis l’indépendance de l’Algérie  en 1962. De plus, les multiples manifestations organisées chaque semaine dans les grandes villes du territoire montrent que l’hostilité du peuple envers ce scrutin est loin de s’être atténuée et que par conséquent le mouvement de révolution ayant démarré en début d’année dernière ne s’est toujours pas estompé. Pour mieux comprendre les enjeux du contexte politique d’aujourd’hui, replongeons-nous aux origines de ce mouvement d’insurrection.

Tout commence le 10 février 2019. Ce jour-là, Abdelaziz Bouteflika (président de la République depuis 1999) annonce qu’il souhaite se présenter aux prochaines élections devant se dérouler au mois d’avril de la même année. Par cet acte, le chef de l’État informait donc sa population qu’il désirait briguer un cinquième mandat. C’est à travers un communiqué lu sur la première chaîne nationale que la décision fut rendue publique. Il ne fallut pas attendre longtemps pour que tombent les premières réactions à l’annonce de cette nouvelle. Très vite, la toile s’enflamme et les commentaires d’internautes en colère contre cette décision se mettent à déferler. Qu’ils soient de la diaspora où vivent sur le territoire algérien même, tous sont unanimes sur le sujet, ils ne supportent plus cette impression de déjà vu. Deux éléments principaux sont à l’origine de cette exaspération générale. D’une part, au-delà du fait qu’Abdelaziz Bouteflika soit au pouvoir depuis une vingtaine d’années, ce qui interpelle davantage les algériens est que son dernier discours public date de 2012, donc avant qu’il ait été victime en 2013 de l’AVC qui l’a fortement amoindri physiquement. Depuis lors, les rares fois où on pouvait l’apercevoir sur les chaînes nationales, il paraissait très affaibli et se déplaçait à l’aide d’un fauteuil roulant, faisant naître de sérieux doutes sur son aptitude à diriger le pays. D’autres part, il est également reproché au pouvoir politique d’alors d’être mêlé à de multiples scandales de corruption et d’être au service d’une oligarchie contrôlant la majeure partie de l’économie algérienne. Depuis plus d’une dizaines d’années, les soupçons de fraude et de malversation sont devenus monnaie courante dans le pays. Un nouveau mandat d’Abdelaziz Bouteflika sonnait donc comme une volonté des autorités publiques de maintenir le système en place.

Douze jours plus tard, le 22 février, sera organisée une série de manifestations dans les différentes grandes villes du pays. Les requêtes des manifestants sont claires : ils désirent l’annulation de cette candidature. Sur les banderoles accrochées pour l’occasion on pouvait notamment lire: « pas de Bouteflika ni lui, ni son frère Saïd », ce dernier étant souvent accusé de détenir l’effectivité du pouvoir. Cette date signera la naissance officielle d’un mouvement de contestation qui s’étendra sur tout le territoire et qui sera baptisé le HIRAK. Dans la foulée, le 24 février, de nouvelles manifestations sont organisées et dans le même temps, en France, à la place de la République, des milliers d’Algériens se rassemblent pour à leur tour réclamer au chef de l’État de revenir sur sa décision. Par la suite, le 26 février, à la faculté centrale d’Alger, ce sont cette fois les étudiants qui décident de se réunir pour protester contre ce cinquième mandat. A partir de cet instant chaque semaine les mardis et les vendredis devenaient des jours de manifestations, celles-ci se caractérisant toujours par le pacifisme de leurs protagonistes.

Les autorités publiques décidèrent tout d’abord d’ignorer ce mécontentement populaire et de faire comme-ci il n’existait pas. Pour preuve, dans les premières semaines, la chaîne nationale ne montrera aucune image des différentes manifestations se déroulant dans le pays. Pire encore, plusieurs journalistes de médias locaux se plaignirent d’avoir vu leur matériel être confisqué ou de subir des pressions lorsqu’ils choisissaient de parler de l’actualité politique du moment. Le 25 février, Ahmed Ouyahia, alors premier ministre du gouvernement, commenta ce mouvement en affirmant qu’en réalité pour lui c’étaient les urnes qui décideront. Toutefois, le 11 mars 2019, face à une pression de plus en plus grandissante, fut publié un nouveau communiqué de la présidence dans lequel le chef de l’État informait la nation qu’il avait pris acte des avis de l’opinion publique et décidait de ne pas se présenter aux prochaines élections. Cependant le communiqué ajoutait que le scrutin devant se tenir au mois d’avril était repoussé ultérieurement pour permettre la tenue d’une conférence nationale afin d’instituer une nouvelle constitution.  Par conséquent, il était décidé qu’Abdelaziz Bouteflika préserverait son poste jusqu’à cette échéance. Cette nouvelle fut accueillie de façon très mitigée par la population, certains optant pour attendre afin de voir ce qui allait se passer par la suite, d’autres désirant ne pas lâcher la lutte. Toutefois, très rapidement, il ressortait de l’opinion générale que la meilleure chose était de continuer la mobilisation de façon à obtenir le départ pur et simple d’Abdelaziz Bouteflika. Ce qui était désormais recherché était la chute du système tout entier. C’est ainsi que les manifestations repartirent de plus belle et que deux semaines plus tard, le 25 mars, le chef de l’état-major Ahmed Gaïd Salah somma le président de la République de quitter immédiatement le pouvoir et donc de répondre aux doléances des citoyens. La requête fut immédiatement suivie, et dans la soirée du même jour, les Algériens pouvaient voir à la télévision les images d’Abdelaziz Bouteflika remettant sa lettre de démission au conseil constitutionnel. Dès lors, fut instauré un gouvernement de transition nommé par Abdelkader Bensalah, l’ancien président de l’assemblée nationale, mais devant occuper les fonctions de chef de l’État jusqu’à ce que de nouvelles élections soient organisées. Toutefois, assez rapidement, ce ne devenait plus un secret pour personne que durant cette période d’entre deux, la réalité du pouvoir était détenue par Ahmed Gaïd Salah, celui-ci ayant été promu au grade de ministre de la défense par le nouveau président en intérim. Ceci remettait alors au centre des débats le rôle réel de l’armée dans le pays, celle-ci étant souvent accusée d’avoir un total contrôle sur la politique de l’Algérie. Ainsi, entre avril et juin, Ahmed Gaïd Salah affirma désirer respecter la volonté de changement du peuple et s’engagea dans une vaste opération anticorruption. De cette façon, durant ces deux mois, les Algériens assistèrent à une multiplication d’arrestations d’hommes d’affaires ayant eu des liens étroits avec l’ancien pouvoir et étant soupçonnés d’avoir bénéficié de gros avantages et notamment de favoritisme dans l’octroi de marchés publics à la suite de versement de pots de vin. Dans le même temps, le gouvernement incarné par Ahmed Gaïd Salah annonça que de nouvelles élections étaient prévues pour le 5 juillet de la même année. Cette décision marqua le point de rupture entre la volonté du gouvernement de transition et les aspirations de la population. Ainsi l‘annonce de la démission de Bouteflika ne mit nullement fin à la mobilisation générale. Ce qui ressortait désormais des manifestations était le souhait que soit élue une assemblée constitutionnelle de façon à établir un nouveau régime politique. Les autorités d’alors se voyaient  reprocher de vouloir organiser des élections à la hâte de manière à replacer un candidat issu de l’ancien système. Finalement, le 5 juillet ne fut pas retenu et les élections se virent repoussées à une date ultérieure . Ce statu quo entre la population et les pouvoirs politiques se prolongea jusqu’au milieu du mois de septembre au moment où Ahmed Gaïd Salah fixa le 12 décembre comme date pour le nouveau scrutin présidentiel, faisant alors fi du souhait de la rue. 22 dossiers de candidatures furent déposés au conseil constitutionnel et seulement cinq de ces candidatures furent acceptées. Parmi ces prétendants au siège présidentiel, 4 avaient déjà été ministres d’un gouvernement d’Abdelaziz Bouteflika.

Aujourd’hui, on peut observer que cette victoire d’Abdelmadjid Tebboune n’a pas réussi à freiner le désir des Algériens de mettre fin à ce système perdurant depuis la fin de la colonisation française. Sur Internet ou dans la rue, les Algériens continuent de faire entendre leur désaccord et ne cessent de montrer que pour eux, le départ d’Abdelaziz Bouteflika n’était pas une fin en soi et qu’ils ne s’arrêteraient pas avant d’avoir eu gain de cause. Bien qu’il soit vrai qu’on peut regretter que l’assemblée constituante souhaitée n’ait toujours pas été mise en place, le peuple algérien a démontré à tous qu’il était capable de faire plier ses dirigeants. En ce mois de janvier 2020, on peut légitimement penser que le combat reste encore long mais la détermination et la ténacité dont a fait preuve la population algérienne nous laisse présager que l’espoir n’est pas perdu et que les choses sont loin d’être terminées.

Bibliographie

 

YANN
DOGBO Yann, étudiant en L3 de Sciences sociales et membre actif à ESMA.
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CHEMMAH Aïcha, étudiante en L2 Droit-Philosophie et co-responsable du pôle rédaction

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