Que retient l’Afrique de son année 2019? Le point éco.

Vers un pouvoir de battre monnaie et une coopération économique approfondie…

 

L’abandon du franc CFA…

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https://www.lepoint.fr/afrique/franc-cfa-cinq-choses-a-savoir-sur-une-monnaie-qui-fait-debat-14-11-2019-2347439_3826.php

Nous sommes le 21 décembre 2019. Il est environ vingt et une heure à Abidjan. Il flotte comme quelque chose de spécial dans l’atmosphère. Les réseaux sociaux s’affolent, dans les commerces communautaires de la diaspora ou dans les lieux de rencontre se trouvant sur le continent, le même sujet est sur toutes les lèvres. Tout le monde y va de son petit commentaire. Les plus pessimistes restent sceptiques et affirment ne pas lâcher le combat. Les autres, tout en rappelant que ce n’est pas encore fini savourent l’instant. Une chose est sûre, le moment est historique. En effet, en ce jour, le président de la République de Côte d’Ivoire Alassane Ouattara accompagné par son homologue français Emmanuel Macron en visite diplomatique dans la capitale ivoirienne, vient d’annoncer la fin du franc CFA.  L’objectif est que cette monnaie, que certains considèrent comme faisant déjà partie du passé, soit remplacée par une nouvelle devise appelée Eco et qui se verra tout d’abord mise en circulation dans les pays de la zone UEMOA d’ici fin 2020 avant de s’étendre à toute l’Afrique de l’Ouest dans un délai d’à peu près deux ou trois ans. Si l’on en croit les discours officiels, les choses ne sont qu’une question de temps.

Ce changement qualifié de simple réforme par les uns et de révolutionnaire par les autres est en réalité l’aboutissement de multiples tractations ayant démarré il y a plus d’une trentaine d’années. En effet, en 1983, plusieurs états faisant partie de la CEDEAO émettent l’idée de créer une monnaie qui serait commune à toute la sous-région. Cependant, un problème apparaît alors. Huit de ces quinze états partagent la même monnaie, il s’agit du franc CFA. Les sept autres ont chacun une monnaie nationale. Sur le sujet, les affirmations des états non membres de l’UEMOA sont claires, il n’est pas question d’étendre le franc CFA à tous. Ce désaccord eût pour conséquence de créer un statu quo sur ce débat et d’empêcher le processus de changement de se poursuivre. Toutefois, une vingtaine d’années plus tard, le sujet est remis sur la table et la nouvelle monnaie est annoncée comme prévu pour 2009. À l’approche du moment fatidique, la date est repoussée à 2015 avant que le projet soit totalement abandonné en 2014. Les dirigeants des états membres de l’UEMOA montrent une volonté de garder le Franc CFA et considèrent désormais qu’il serait inutile de changer de système car cela mettrait même en danger leurs économies respectives, celles-ci étant déjà très fragiles. Avant les années 2010, la société civile s’était assez peu préoccupée de la situation bien que l’on pouvait ressentir que le fait d’avoir une monnaie imprimée en France ne plaisait pas totalement aux différentes populations concernées. Toutefois, la dernière décennie fut alors bien différente sur ce point. Il est difficile de véritablement savoir ce qui a déclenché cela, mais il est clair que l’accès généralisé aux réseaux sociaux est loin d’y être étranger. Désormais, les idées circulent beaucoup plus facilement. Il devient plus aisé de mobiliser et d’éveiller les consciences sur les grands sujets qui touchent à la vie politique du continent. Au début, ce sont les activistes engagés sur les questions de souveraineté africaines tel que Kémi Séba qui seront les premières personnes de la société civile à pointer du doigt le système du franc CFA. Très rapidement, ceux-ci seront suivis par différents intellectuels du continent comme par exemple l’économiste sénégalais Sanou M’Baye. Ce nouvel élan sera tout d’abord accueilli timidement par les populations avant que la fièvre ne commence à toucher davantage de monde au milieu de la décennie. À partir de 2016, l’ex-ministre de l’économie Kako Nubukpo deviendra l’un des personnages les plus importants de la contestation contre le franc CFA. Au sein de la diaspora, on s’empare de la question, il ne devient donc plus rare de voir sur les réseaux sociaux de longues diatribes d’internautes fustigeant cette monnaie considérée comme un vestige colonial. Car en réalité, c’est ici le noeud du problème. La question ne concerne pas uniquement les simples enjeux économiques sur lesquels en vérité peu de monde pourrait expliquer en profondeur quelles conséquences réelles pourrait avoir un changement de monnaie. Le nerf de la lutte a ici à voir avec la notion de souveraineté. Ce qui est difficile à avaler est le fait que plus de 50 ans après les indépendances, les états continuent de conserver une monnaie originellement créée sous le régime colonial. L’élément revenant fréquemment dans les accusations portées à cette monnaie est l’obligation du dépôt d’une partie de leurs réserves au trésor français à laquelle doivent se tenir les états africains pour bénéficier de la convertibilité constante. Mais l’autre élément souvent évoqué est la présence de représentants français aux institutions de gouvernance de la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) sachant que ceux-ci ont un droit de véto. Il ressort donc une sensation de devoir constamment rendre des comptes à l’ancien colonisateur.

Au fur et à mesure, les choses s’emballent. Des conférences sur le sujet seront organisées en masse hors et sur le continent. Plusieurs grandes chaînes telles que TV5 monde réaliseront des émissions sur la question et des manifestations rassemblant plusieurs centaines de personnes comme à Niamey au Niger auront lieu de plus en plus fréquemment sur les territoires des différents États de l’UEMOA. La machine était donc lancée. L’événement le plus significatif de cette nouvelle grogne montante aura lieu le 19 août 2017. Ce jour-là, l’activiste franco-béninois Kémi Séba brûlera symboliquement sur la place publique un billet de cinq mille francs CFA. La réaction des autorités sénégalaises illustrera parfaitement la position des pouvoirs politiques des États concernés par la question. Kémi Séba sera expulsé et le gouvernement maintiendra sa ligne de conduite en rappelant que pour eux, le franc CFA est une très bonne monnaie. L’axe choisi est clair, ignorer le mécontentement général des populations. En France, l’Elysée adoptera le même comportement et choisira de faire l’autruche. Fin 2018, le président ivoirien Alassane Ouattara en voyage dans l’hexagone affirmera après un entretien avec Emmanuel Macron que le franc CFA serait bien évidemment maintenu et qu’il ne comprenait pas les critiques à son égard. Toutefois en 2019, les contestations se poursuivent, les africains se voient même être encensés par Luigi Di Maio, le vice-président du conseil italien qui affirmera au début de l’année que la France maintient un système colonial au travers du franc CFA. Face à une pression devenue désormais internationale, le gouvernement français ne peut plus continuer de faire la sourde oreille. Emmanuel Macron affirmera lui-même lors d’une conférence de presse qu’il était prêt à discuter quant à une réforme du franc CFA. Cette position sera par la suite reprise par son ministre de l’économie Bruno Le Maire.

Le 2 juillet 2019, lors de la 55ème session extraordinaire de la CEDEAO, après avoir été repoussé à de multiples reprises puis finalement annulé, le projet de nouvelle monnaie unique est cette fois officiellement lancé. Le nom Eco est alors choisi et un calendrier est donné prévoyant l’entrée en vigueur de la nouvelle monnaie l’année suivante. L’annonce de ce mois de décembre 2018 vient donc confirmer la nouvelle direction prise par les différents États de l’Afrique de l’Ouest.

Bien que le système de l’Eco fasse l’objet de nombreuses critiques du fait qu’il propose pour l’instant un adossement à l’euro en termes de convertibilité, il est important de garder à l’esprit que cela n’est prévu que le temps que tous les États de la CEDEAO remplissent toutes les conditions pour pouvoir parvenir à un arrimage sur un panier de monnaie. De plus, l’obligation qui pesait sur les États de devoir déposer 50% de leurs réserves au Trésor français a désormais disparu. Tout sera dorénavant centralisé en Afrique même. À cela, il faut ajouter la fin de la présence de représentants français aux instances de gouvernance de la banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest.

Il est vrai que la route reste encore longue, mais toutefois, sur ce point ce qu’il faut retenir de l’année 2019 est que les populations africaines trop souvent considérées comme passives, ont montré par leur détermination qu’elles étaient capables de mettre la pression sur leurs dirigeants politiques et donc de pouvoir influer sur le cours des choses. À travers la façon dont ils se sont mobilisés, les Africains prouvent qu’ils prennent de plus en plus conscience de leur capacité à influer sur la vie politique de leur continent.

ESMA s’est intéressé au sujet et a reçu Nako NUBUPKO et Martial ZE BELINGA lors d’une conférence intitulé “l’ECO : une fausse bonne idée pour les pays de la CEDEAO?” (compte rendu disponible sur notre site : https://esmaparis1.com/2019/11/01/compte-rendu-de-la-conference-du-25-octobre-2019-leco-une-fausse-bonne-idee-pour-les-pays-de-la-cedeao/)

 

La zone de libre-échange continentale…

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Chefs d’Etats africains et de Gouvernements lors du Sommet de l’Union africaine pour l’établissement de la Zone de libre-échange continentale à Kigali, Rwanda, le 21 mars 2018.
https://www.bbc.com/afrique/region-48476768

Le 7 juillet 2019, réunis à Niamey pour l’occasion, les chefs d’États des pays membres de l’Union africaine lancent officiellement le coup d’envoi de la zone de libre-échange continentale. Le démarrage effectif est prévu pour 2020, mais déjà, la première pierre de l’édifice est posée. Le projet est à l’image des Africains, ambitieux et porteur de multiples espérances. L’idée peut paraître folle mais elle est bien réelle : faire de l’Afrique la plus grande zone de libre-échange au monde. Dans la bouche des dirigeants présents pour l’évènement, les 84 000 km de frontières que compte le continent apparaissent comme des barrières empêchant les africains de mieux se connaître et de pouvoir collaborer ensemble. Cinquante-six ans après la création de l’OUA à Addis-Abeba, le projet se présente comme une avancée significative dans le processus d’intégration africaine. Certains n’hésitent pas à commenter la scène en affirmant qu’à travers cela, l’Afrique est proche  d’atteindre la fameuse unité continentale tant rêvée par les pères fondateurs tel que Kwame Nkrumah ou encore Ahmed Sékou Touré.

Ce dispositif dont l’idée a été lancée en 2012 a officiellement été soumis à un examen approfondi à partir de 2016. Cette étude fut conduite par une commission de l’Union africaine dirigée par le président nigérien Mahamadou Issoufou. Le 21 mars 2018, à Kigali au Rwanda, lors du 54eme sommet de l’Union africaine, sont présentées les conclusions du rapport. Le constat est clair, le commerce interafricain est bien trop faible pour pouvoir résister face aux géants de la planète que sont par exemple l’Europe ou les Etats-Unis. En 2018, la part des échanges commerciaux entre pays africains ne représentait que 17% des échanges ayant lieu sur le continent. La principale cause de ce manque d’intégration interne est que la quasi-totalité des pays africains ont une économie fondée sur l’exportation de matières premières. Les produits proposés ne correspondent donc pas aux besoins des populations du continent. La conséquence la plus significative de ce phénomène est le manque d’industrialisation dont souffrent les pays africains et qui pourraient en réalité être une parfaite solution aux problèmes de chômage auxquels ils se retrouvent confrontés. Les infrastructures existantes ne sont donc pas faites pour fluidifier les échanges régionaux. Par exemple, pour un camion transportant des marchandises, cela coûterait à peu près quatre cents euros à son propriétaire pour aller de Lagos au Nigéria à Abidjan en Côte d’Ivoire.

La solution proposée par la commission ayant réalisé le rapport est donc de réhausser de façon significative le commerce entre pays africains. Pour cela, l’idée est de supprimer les droits de douane à hauteur de 90% des produits échangés. Cette mesure ne concernera que les marchandises confectionnées au moins à 50% sur le sol africain. Par ce mécanisme, ce qui est cherché à être évité est que cette ouverture des frontières permette aux grandes transnationales étrangères de pouvoir commercer en Afrique sans désormais avoir à payer de droits de douane et que donc cela ne profite plus aux citoyens africains comme cela était prévu originellement. Ce système permettra donc d’encourager le développement d’usines de manufacture africaines et par là, seront créés une quantité de nouveaux emplois. Ce 21 mars 2018, quarante-neuf des cinquante-cinq états membres de l’Union africaine acceptent de signer l’accord prévoyant le lancement de la zone de libre-échange continentale. Il est alors prévu que pour que différents gouvernements puissent préparer leur système juridique à ce changement, vingt-deux d’entre eux devront ratifier l’accord avant qu’ils puissent être mise en œuvre. Toutefois, le Nigéria, première économie du continent, sera tout d’abord réticent à intégrer le dispositif. En cause, la peur que son industrie naissante se retrouve concurrencée par des pays avec des produits ayant une origine extérieure à l’Afrique et ayant réussi à pénétrer le continent par l’intermédiaire d’autres pays. Toutefois en 2019, après examen de la situation, le Nigéria accepta d’intégrer la ZLEC et à ce jour l’Erythrée est le seul pays membre de l’Union africaine ne faisant pas partie de cet accord. Le 7 juillet 2019, le seuil de vingt-deux ratifications avait été atteint et permettait donc d’entamer le processus. Bien que de nombreuses interrogations demeurent, par exemple sur le manque d’infrastructures prévues à cet effet ou encore sur l’insécurité de certaines régions, il est nécessaire de laisser faire le temps. L’Afrique vit un moment clé de son Histoire et il est clair que les choses n’évolueront que par étape. L’Union européenne nous l’a montré, une unification ne se fait pas en un jour. Toutefois, il faut retenir que l’époque où chacun faisait cavalier seul est révolue. Les dirigeants des États africains ont donc parfaitement compris que pour parvenir à l’émergence tant convoitée, il va falloir travailler main dans la main. Ils savent désormais que : « tout seul on va plus vite, mais ensemble on va plus loin ».

 

Bibliographie

 

 

YANN
DOGBO Yann, membre actif et étudiant en L3 de Sciences sociales

 

 

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