La Chinafrique vue à travers le cas de Djibouti

La Chinafrique vue à travers le cas de Djibouti

« Chinafrique » fait écho chez les Français à la tristement célèbre « Françafrique », nom donné aux relations privilégiées entre la France et ses anciennes colonies africaines sur fonds de corruption, trafics d’influence, ingérence française, mise en place et soutien à des militaires-dictateurs, voire Franc CFA. C’est pourtant le nom choisi par la Beijing Review, une maison d’édition publique chinoise, pour sa revue et son site dédiés. A priori cependant, et surtout selon la propagande chinoise, rien à voir avec les relations post- ou néocoloniales que la France entretient avec son « pré carré africain ». 

Au contraire, la « Chinafrique » est souvent présentée comme une parade face aux liens néocoloniaux entretenus par une partie des pays africains avec les anciennes métropoles. Si les relations se sont largement accélérées depuis la fin des 1990’s/début des 2000’s, la République populaire de Chine se plaît à rappeler que son amitié avec le continent noir est, comme elle, vieille de 70 ans. Il est toutefois important de souligner un point : les relations sino-africaines ne datent pas d’hier. Ce que l’opinion médiatique s’est accordée à appeler la « Chinafrique » trouve ses origines avant Jésus Christ : les premières relations entre la Chine et l’Afrique datent de la dynastie Han, aux alentours de 206 av. J-C. A cette époque se développent en effet les routes de la soie et des épices qui traversent toute l’Eurasie jusqu’à l’Afrique nord-orientale.

Dès 1949, l’Empire du milieu renoue avec les pays africains sur le ton de l’anticolonialisme. En effet, la Chine et l’Afrique se sont « mutuellement soutenues dans les luttes contre l’impérialisme et la colonisation, puis dans les efforts visant à réaliser le développement économique. » Sur fond de coopération Sud-Sud consacrée par la Conférence de Bandung en 1955, la Chine et l’Afrique devenue indépendante (hormis la Namibie et l’Érythrée) se sont soutenues notamment sur la scène internationale, Mao ayant même déclaré en 1971, quand la Chine a récupéré son siège à l’ONU, « ce sont nos frères africains qui nous ont amenés aux Nations Unies ». A partir des années 50-60, une amitié diplomatique s’instaure entre la Chine et les pays africains pris individuellement, ponctuée de fréquentes visites officielles et de congrès sino-africains. 

A partir de 2000, ces congrès sino-africains prennent la forme du FOCAC (Forum on China-Africa Cooperation), espace diplomatique et économique initié par la Chine qui s’inscrit dans la montée en puissance économique de la Chine sur le continent africain. Si la France faisait, ou fait, surtout sentir une influence politique en Afrique, par les canaux légitimes de la diplomatie, ou par des canaux moins légitimes, la Chine a avant tout envisagé sa présence en Afrique à partir d’objectifs économiques et commerciaux.

Le modèle de développement chinois en Afrique 

Bien qu’elle entretenait déjà des relations commerciales avec le continent africain, la présence accrue de la Chine en Afrique au XXe et XXIe siècle s’est vue accompagnée d’un discours idéologique que l’on pourrait aujourd’hui identifier comme un travail de légitimation. En effet, la Chine a au fil du temps élaboré un discours idéologique construit sur une opposition à l’Occident et plus précisément aux anciennes puissances coloniales. Dans cette concurrence idéologique entre l’Occident et la Chine, l’Empire du Milieu détient un avantage considérable, qu’il met systématiquement en avant lors de ces allocutions destinées au continent africain : la Chine a aussi été une nation sous influence occidentale, période que le pays identifie comme le siècle de la honte (1839-1949). Cette histoire commune se voit également renforcée par la présence de la Chine à la conférence de Bandung (1955), où le mouvement tiers-mondiste du non alignement préfigurait les indépendances africaines.

Mais le grand sujet de cette concurrence idéologique entre les Chinois et l’Occident reste celui du développement. La méthode et l’idéologie de l’Empire du Milieu en la matière se distinguent de celui des Occidentaux, offrant alors aux États africains une notion essentielle qui a très (trop) longtemps manqué : pouvoir choisir ces partenaires. Alors quelles sont les spécificités du modèle de développement chinois ? Il semble s’être construit autour du modèle occidental de développement mais en prenant la direction diamétralement opposée. La Chine se présente avant tout comme un partenaire commercial en Afrique, et non comme un partenaire de développement. Quelle est donc la différence ? Il faut tout d’abord noter que la Chine, a contrario de la France, n’a aucun critère d’éligibilité pour l’attribution de ses prêts. Ainsi, peu importe la nature du régime politique du pays, argument pourtant central dans l’aide au développement française par exemple. Ce sont donc les relations économiques qui priment, au nom de la non-ingérence. Cette stratégie est une réel argument pour les pays africains qui se tournent de plus en plus vers les prêts chinois. 

L’Empire du Milieu s’appuie entre autre sur des concepts établis par les Occidentaux pour les déconstruire, et ainsi donc remettre en question la légitimité de ces anciennes puissances coloniales. L’un des premiers arguments est celui de l’émergence. Pour bon nombre de spécialistes chinois, l’émergence de la Chine constitue un argument de taille pour inviter les pays africaines à adopter le modèle chinois de développement. La Chine, elle aussi victime par le passé de l’hégémonie des Occidentaux est tout de même devenue une puissance internationale et ce en suivant son propre modèle de développement. Le discours sur l’émergence, autrefois fortement occidentalo-centré (Gabas & Losch, 2008) est donc remis en cause par le modèle chinois. 

 

Typologie de la présence économique chinoise en Afrique

 

La présence économique chinoise en Afrique est en effet indéniable : la Chine est le premier partenaire économique de l’Afrique. Entre 2006 et 2016, la Chine a investi 110 milliards de dollars et les exportations chinoises vers l’Afrique ont augmenté de 233%. Près de 40 % des grands projets d’infrastructures africains en cours ont été remportés par la République populaire.

Ces chiffres témoignent pourtant d’une relation surtout unilatérale : dans la Chinafrique, c’est la Chine avant l’Afrique, et c’est bien la Chine qui investit et s’insère en Afrique. Ainsi et surtout depuis 2013, le ralentissement de l’économie mondiale et la chute du cours du pétrole qui a posé de nombreuses difficultés aux économies africaines, la Chine est devenue le premier créancier de l’Afrique avec une dette aussi élevée que celle que du continent a vis-à-vis du reste du monde. A titre d’exemple, la dette de Djibouti est aujourd’hui de 132 milliards de dollars, étant passée de 50% à 85% en 2 ans. Parmi les nations qui se sont fait doubler en Afrique figurent les Etats-Unis, qui ont d’ailleurs perdu face à la Chine leur place de premier émetteur mondial d’investissements directs à l’etranger (IDE). En août 2018, plusieurs sénateurs étasuniens ont accusé la Chine d’“arsenaliser” ses financements en Afrique en se servant de l’endettement de ces pays à son égard. La guerre économique que se mènent les deux puissances s’étend donc à l’Afrique et on assiste à de véritables batailles de propagande pour remporter les coeurs africains : diplomatie 2.0 avec utilisation de Twitter par certains ambassadeurs chinois (un réseau social pourtant interdit en Chine) et apparitions médiatiques de diplomates chinois en sont des illustrations.

La Chine investit surtout (pour près de ¾) dans les leaders économiques et les pays les plus riches en ressources naturelles (pétrole et minerais) dont elle a besoin pour financer son économie, ce qui lui donne une étiquette d’« ogre économique », bien que les investissements chinois y aient diminué avec la baisse de la rente des pays riches en ressources (Angola, Nigeria, Gambie…) Malédiction des ressources oblige, ces pays sont généralement aussi ceux où l’État de droit est le plus faible.

Autre fait structurant : la Chine n’investit en réalité pas tant que cela en Afrique, en tout cas en termes d’IDE, c’est-à-dire l’action d’obtenir un intérêt durable dans la gestion d’une entité résidant dans un autre pays, soit par création d’une entreprise nouvelle, soit par prise de participation. La part d’IDE africain sur l’IDE global chinois a même fortement baissé depuis 2013 pour s’établir à 1,2% en 2016. La Chine est avant tout un fournisseur de marchandises (d’où l’immense dette commerciale africaine vis-à-vis de la Chine) et un prestataire de services (chiffre 25 fois supérieur pour les marchés réalisés, notamment de construction, à celui des IDE). Par ailleurs, les bénéfices de ces investissements sont moindres pour l’Afrique puisque les investisseurs chinois font majoritairement appel à des travailleurs chinois déplacés, si nombreux que le nombre de Chinois installés en Afrique s’élève entre 750 000 et 1 million, et que de véritables “China-town” poussent en marge des villes africaines. L’impact sur l’emploi local est donc peu significatif.

Les investissements chinois se concentrent donc en premier lieu sur les services, puis sur le secteur manufacturier et sur l’industrie, et après ceux-là sur les ressources naturelles. Au-delà de cela, la Chine investit dans des zones franches, les zones économiques spéciales (ZES), des enclaves chinoises subventionnées par le gouvernement chinois en territoire africain. En 2014, la Chine a lancé le projet des nouvelles routes de la soie, l’initiative « One Belt One Road » qui consistera en des projets d’infrastructures tout au long de l’Eurasie, du Moyen-Orient et jusqu’à l’Afrique. Incluant ainsi une vingtaine de pays africains qui seront liés par la « Maritime Silk Road », elle est écrite comme une véritable stratégie nationale avec des implications tant économiques, sociales, diplomatiques et militaires.

La plupart des relations économiques entre la Chine et un pays africain sont régies par des traités qui institutionnalisent un remboursement de la dette africaine vis-à-vis de la Chine en ressources naturelles. Cette stratégie est appelée le « mode angolais » : “un accord-cadre est conclu avec un gouvernement africain pour un programme d’infrastructures financé par des prêts chinois et réalisé essentiellement par des firmes chinoises ; en parallèle, cet accord autorise une compagnie nationale chinoise à investir dans l’exploitation des ressources (pétrole, mais aussi bauxite, chrome, minerai de fer, fèves de cacao…).”* À ces investissements dans des projets d’infrastructures publiques et d’exportations de ressources naturelles fait naturellement suite l’implantation d’entreprises privées.

La Chine investit peu dans l’agriculture, notamment du fait des difficultés institutionnelles liées à l’absence d’existence du « cadastre », le titre de propriété sur la surface agraire dans de nombreux pays africains. Très souvent en effet, cette absence de cadastre a permis aux États d’Afrique de l’Ouest d’octroyer la propriété de grandes surfaces arables à des exploitants chinois, mais cela n’est alors pas reconnu par les populations locales, ce qui crée de nombreuses difficultés, d’autant plus que les pays africains sont loin d’être autosuffisants.

Il n’est donc pas étonnant qu’on assiste dans certaines régions à une montée d’un sentiment anti-chinois, en témoignent par exemple les manifestations en Gambie ou en Zambie où l’annonce de la vente prochaine à la Chine de la compagnie d’électricité Zesco, de l’aéroport de Lusaka ainsi que de la chaîne de télévision nationale en raison de la dette du pays avaient suscité un tollé général. Les problématiques de destination des fonds et de la pérennité des projets comme les routes promises font en effet débat, sans même mentionner les nombreux rapports de corruption chinoise.

Djibouti : zone économique spéciale et base militaire

 

Djibouti est un très petit pays d’Afrique de l’Est, stable politiquement avec une croissance économique supérieure à 5% et projetée à 7% pour l’année 2020 (Banque Mondiale, pré-Covid 19). Situé sur la corne de l’Afrique, le pays, plus précisément la ville éponyme, et son port sont une véritable porte d’entrée sur le monde arabe via le Golfe d’Aden. 

 

Une zone économique spéciale (ZES) est une région où les lois économiques sont identifiées comme plus libérales, encourageant ainsi les investissements d’entreprises.  Il existe plusieures types de ZES. La ville de Djibouti est une  ZES “sous traitée”. Autrement dit, la gestion du port de Djibouti et de sa zone franche est attribuée à l’entreprise China Merchants Ports. Quel est l’intérêt des entreprises chinoises d’investir à Djibouti ? Djibouti est en réalité un point clé pour les Nouvelles Routes de la Soie chinoises : la One Belt One Road (OBOR). Le micro-État est en effet un lieu de passage vers l’Europe mais aussi vers l’Afrique et le Moyen-Orient : “Conscientes de ces bénéfices à long terme, les autorités chinoises ont injecté des milliards de dollars ces dernières années dans la construction de nombreuses infrastructures dans la région, reliant notamment Djibouti et Addis Abeba” (1). Ainsi, l’Export-Import Bank of China aurait emprunté jusqu’à 957 milliards de dollars au gouvernement djiboutien, ce qui constitue un intérêt économique considérable pour la Chine. 

En effet, la stratégie commerciale chinoise est d’offrir des offres “packagées”. Alors que la plupart des puissances occidentales qui font de l’aide au développement en Afrique octroient des prêts sous conditions et lancent des appels d’offres pour engager des entreprises sur les projets, la Chine donne des prêts sans conditions, en y associant déjà les entreprises chinoises pour la réalisation des travaux, essentiellement ciblés sur des projets d’infrastructures. De plus, les prêts chinois sont des prêts de courte durée (10 ans en moyenne) et la rentabilité d’une infrastructure telle qu’une route ou un barrage s’évalue à 40/50 ans. Cette stratégie, rend parfois impossible le remboursement des prêts dans les temps et permet ainsi à la Chine de renégocier les contrats en obtenant le contrôle de certain(e)s routes/ports/barrage pour une certaine durée. 

Si l’avantage est économique, il est aussi militaire. Ces deux notions sont d’ailleurs à comprendre en corrélation, indissociables l’une de l’autre. La position géographique très stratégique de Djibouti n’a eu de cesse de faire grandir les intérêts des grandes puissances internationales pour le pays. En outre, depuis les attentats du 11 septembre 2001, ces dernières, engagées pour certaines dans la lutte contre le terrorisme, sont de plus en plus présentes dans la région. Mais la présence militaire de la Chine à Djibouti ne s’explique pas par la lutte contre le terrorisme. La première base militaire chinoise, installée en 2017 à Djibouti a pour principal objectif de veiller à la protection des transports maritimes, en bref du commerce.


(1) http://www.rfi.fr/afrique/20180223-djibouti-mer-rouge-chine-guelleh-france-le-gouriellec-soliman

Bibliographie 

 

 

  • “Lin Yifu, l’Afrique et le modèle chinois de d’émergence”, Revue de la régulation (printemps 2019), Thierry Pairault. 

 

 

  • “China Trends #2 – Bases navales : de Djibouti à un réseau mondial ?”, Institut Montaigne, Mathieu Duchâtel 

 

 

 

 

 

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