Le Ghana
Comme vous l’aurez deviné, c’est le Ghana que nous mettons à l’honneur pour le premier Pays à l’honneur de l’année. ESMA vous présente ce grand pays ! Pour ce point historique, Ana vous invite à vous pencher sur le parcours de l’illustre Osei Tutu.
Osei Tutu : l’incarnation d’un empire uni
Lors de la bataille décisive de Feyiase en 1701, le roi des Denkyira, Ntim Gyakari aurait prononcé le nom asante, pour la première fois, face à son imminente défaite. Provenant d’une des langues parlées par le grand groupe ethnique des Akans, le twi, asante ou ashanti signifie étymologiquement « à cause de la guerre ». D’après une acception répandue parmi les ashantis aujourd’hui, cela peut aussi signifier « le peuple rassemblé à cause de la guerre ».
L’empire Ashanti naît d’une unification de clans Akans, guidée par un fin stratège qui s’arma d’outils guerriers et spirituels dans cette œuvre, Osei Tutu, lui-même issu du clan Oyoko.
Avant 1701, l’empire du Denkyira, qui dominait les échanges commerciaux grâce à son accès à la côte, jouissait ainsi d’une hégémonie incontestée sur les Etats environnants. A l’exception de l’Akwamu et de l’Akyem.
Source: Histoire Générale de l’Afrique, Vol V
Ces royaumes étaient peuplés d’Akans ayant migré, entre le 12e et le 13e siècle, vers le sud du Ghana en quête d’or. Ils y fondent des États très inégaux en puissance. Osei Tutu, n’était à sa naissance, seulement destiné à succéder à son oncle maternel, selon le lignage matrilinéaire, Obiri Yeboah à la tête de l’Etat de Kwaaman. Cependant, par sa détermination à renverser l’Etat qui imposait de lourds tributs à ses vassaux, il parvient à surpasser toutes attentes. Osei Tutu monta de toutes pièces les fondations d’un empire qui sera un farouche adversaire de guerre de l’Empire britannique au cours du 19e siècle.
Cette unification des clans akans ne fut pas l’œuvre d’un seul homme, mais plutôt le résultat d’un mouvement multidimensionnel alliant force et spiritualité, faisant entrer Osei Tutu parmi les figures historiques du Ghana.
Naissance d’Osei Tutu
Osei Kofi Tutu naît autour de 1660 à Anyinam, une localité du Sud-Est du Ghana actuel, au sein du clan Oyoko installé autour du lac du Bosomtwe. Sa mère, Manu Kotosi, du royaume de Kwaaman, est la seule sœur d’Obiri Yeboa, son chef. La société akan étant matrilinéaire, l’enfant est considéré comme appartenant au clan de sa mère. Osei Tutu n’avait donc aucune prétention à régner sur Akwamu, d’où venait son père, Owusu Panin, mais plutôt sur Kwaaman. Sa venue au monde ne fut pas aisée mais très attendue pour assurer la succession. Après des années d’attente d’une grossesse, Manu est envoyée chez un prêtre nommé Tutu à Akuapem d’où elle revient avec l’enfant qui portera son nom en hommage.
Pendant ce temps, le royaume du Denkyira, au Sud-Ouest de l’actuel Ghana, maintient sa domination sur les petits Etats parmi lesquels figure Kwaaman. Afin de s’assurer l’allégeance de son vassal, le Denkyirahene, le roi Odeefuo Boa Amponsem garde le prince Osei Tutu à la cour, en tant qu’otage. Alors adolescent, le prince scrute avec attention le maniement du pouvoir dans la cour du roi. Ainsi, malgré son statut d’otage, le prince sut tourner la situation à son avantage : il ne rata aucune opportunité susceptible de l’aider à accumuler des connaissances sur la stratégie militaire des Denkyira, ayant sans doute dans un coin de son esprit une image aussi grandiose de son avenir.
Le temps n’est pas encore aux préparatifs d’un assaut des troupes du Denkyria puisqu’Osei Tutu enceinte la sœur du roi, dont il se serait épris. Une nouvelle qui, une fois répandue dans la cour, le pousse à s’enfuir et à rejoindre Akwamu. Cet État est à cette époque un des seuls qui résiste véritablement à la domination des Denkyria, de par sa mainmise sur les échanges avec les Européens à l’Est du territoire. Son roi, Otumfuo Ansa Sasraku, accorde volontiers sa protection au prince. Son séjour là-bas fut décisif pour les étapes ayant conduit à l’émergence de l’empire Ashanti de par les rencontres qu’il y fit. Ce roi, qui l’aida à rejoindre le bout de territoire négligeable sur lequel il est appelé à régner à la mort de son oncle, est un des personnages clés de son ascension à son rang futur. Dans les siècles suivants, Akwamu et l’empire Ashanti combattront en alliés et se partageront le territoire du Ghana actuel.
A la mort d’Obiri Yeboah suite à la bataille de Dormaa, Osei Tutu, alors prince, redoute son retour à Kwaaman, qui demeure sous l’emprise des Denkyira. Suite à son aventure avec la sœur du Denkyirahene. Il craint d’être attaqué par ses troupes, surtout qu’il ne dispose pas d’une force capable de rivaliser avec ces dernières. Le roi d’Akwamu, qui lui avait jusque lors fourni un refuge, lui fait ultime don de trois cent guerriers qui l’escortent vers Kwaaman, la future capitale de l’empire Ashanti, Kumasi. Ayant succédé à son oncle autour de 1675, Osei Tutu y retourne la tête haute avec une force armée structurée à l’image de l’armée d’Akwamu et un prêtre, Kwame Frimpong Anokye ou Okomfo Anokye. Ce dernier est nommé grand prêtre, aux côtés d’Osei Tutu, le roi qui incarnera bientôt l’unité des Ashanti, l’Asantehene. Mais en 1675, Kwaaman ne constitue que l’un des nombreux vassaux des Denkyira. Comment Osei Tutu parvient-il à mener à bout le projet d’unification des rois qui l’ont précédé face à la toute-puissance du Denkyira ?
La construction d’une unité artificielle
Les symboles spirituels joueront un rôle crucial dans l’édification de l’empire Ashanti. Cette unification ne doit pas, cependant, être surestimée puisque malgré l’expansion du pouvoir d’Osei Tutu, les rois des Etats conservent une certaine autonomie dans la constitution de la confédération Ashanti. Néanmoins, le chef que deviendra Osei Tutu aura réussi à mobiliser un ensemble de royaumes avec pour objectif de vaincre l’oppresseur commun. L’empire porte donc bien son nom.
Un des symboles qui subsistent aujourd’hui est le siège d’or. Ce trône, selon la légende, serait descendu du ciel et aurait atterri sur les genoux d’Osei Tutu, dirigé par la puissance du grand prêtre Okomfo Anokye. Ce trône, d’une valeur sacrée, constitue le symbole de l’autorité du chef de tribu et représenterait le siège de l’âme de la personne qui l’occupe. Il est également considéré comme « l’épouse » du siège d’or des Akwamu, ultime symbole de l’alliance des deux entités. Seul le chef du peuple Ashanti se voit réserver le droit de le toucher, le trône ne devant même pas toucher le sol. Okomfo Anokye aurait déclaré que si jamais le siège d’or venait à être capturé ou détruit par des ennemis, c’est tout le royaume Ashanti qui tomberait dans le chaos. Il fut d’ailleurs au cœur d’un conflit en 1900 portant son nom, La Guerre du Trône d’or. Le gouverneur britannique de la Côte-de-l’Or, Sir Frederic Mitchel Hodgson, réclama sa possession, provoquant l’ultime rébellion armée précédant l’annexion britannique. Les symboles mystiques servent donc à consolider la légitimité du pouvoir de l’Asantehene car une atteinte au roi et aux symboles de l’unité équivaut à une atteinte aux ancêtres.
Kwaaman devient par la suite Kumasi, la capitale du royaume Ashanti, où tous les chefs des Etats doivent se rendre pour prêter allégeance annuellement. Ce choix n’était pas anodin mais le résultat, là encore, d’une stratégie du prêtre Okomfo Anokye pour légitimer, au vu et au su de tous, les symboles du royaume par les ancêtres. Okomfo Anokye plante des arbres « kum tree » dans deux différentes localités, dont Kwaaman. La croissance de l’arbre planté à Kwaaman est interprétée comme l’élection par les puissances ancestrales du lieu qui sera le cœur de l’empire. La ville est donc renommée Kumase (sous l’arbre). La robustesse de l’arbre revêt une importance prophétique concernant l’avenir du royaume Ashanti et sa puissance dans l’unité.
Kumasi, située au centre du Ghana, était aussi le point de convergence de nombreuses routes qui la reliaient à d’autres provinces. La ville regorgeait de ressources en or et en cola, en plus de sa position géographique qui représentait des avantages commerciaux et militaires. L’expansion de l’empire Ashanti au cours du 18e siècle sera largement due aux revenus tirés de la traite des esclaves capturés dans les provinces périphériques et vendus aux Européens sur la côte contre des armes à feu.
L’organisation mise au point par Osei Tutu et son bras droit le prêtre Okomfo Anokye, se démarquait des autres par les contre-pouvoirs reconnus à sa propre autorité. En effet, il conserve la figure d’un chef auquel les chefs des différents Etats Akans unifiés jurent fidélité, l’Asantehene, mais en parallèle, un conseil de l’union constitué des rois de chaque Etat joue un rôle décisif dans l’empire. Le collège de notables, les « mpanyimfo », se retrouve chargé de désigner le chef des Ashanti parmi les potentiels successeurs, issus du même lignage du clan des Oyoko jusqu’à nos jours, selon leurs qualités personnelles, et celui-ci prête serment de respecter les coutumes. La société Ashanti étant matrilinéaire, les têtes des lignages, des femmes appelées ohemmea, constitueront un de ces contre-pouvoirs puisqu’elles conseillent le roi et interviennent dans l’intronisation et la destitution du chef. Toute cette structuration élaborée du pouvoir a cependant succédé au règne d’Osei Tutu, ce dernier ayant régné en despote, animé par l’ambition première de gagner du terrain et de vaincre son éternel ennemi, le royaume du Denkyira.
En 1689, Osei Tutu achève l’édification de l’Empire Ashanti sous une forme fédérale, en principe respectueux de l’autorité de chaque chef sur son État qui prête néanmoins serment au siège d’or, symbole de leur unité. Il réalise ainsi le projet inachevé de son oncle et de ses prédécesseurs, partis trop tôt pour voir se profiler une libération du joug du Denkyira. Dix ans plus tard, paré d’une armée et de la puissance de son éternel compagnon, le prêtre Anokye, les Ashantis se soulèvent contre les Denkyira. Selon la tradition orale, leur roi, Ntim Gyakari, aurait envoyé des messagers devant l’assemblée des Ashantis pour réclamer, comme à son habitude, les tributs en or. Ces messagers seraient retournés devant leur roi avec des pierres face au refus unanime et catégorique des Ashantis dont l’un aurait coupé l’oreille d’un messager, animé d’un esprit croissant de rébellion. Suite à cet incident, les deux puissances entrent en guerre. Les forces du Denkyira, armées de canons fournis par les Hollandais, seront vaincues en 1701 par celles des Ashanti lors de la bataille de Feyiase. Cette bataille marque un véritable virage historique pour l’union des Ashanti qui devient le véritable Empire qui occupera par la suite l’intégralité du territoire de l’actuel Ghana, à l’exception du royaume Fanti. En subjuguant les Denkyira, Osei Tutu ouvre à l’Empire Ashanti la voie d’une croissance économique fulgurante grâce au commerce avec les Européens sur la côte.
Avant sa mort à Koromante en 1717 lors d’une bataille contre le royaume d’Akyem, Osei Tutu aura vu la taille de l’Empire tripler.
Source: Encyclopedia of African History and Culture – Vol III, 2001
L’héritage d’Osei Tutu
Tout compte fait, la défaite infligée au royaume Denkyira par l’union de ses anciens tributaires ne s’inscrit pas réellement dans une guerre de libération de l’oppression. Certes, le royaume Denkyira exerçait une véritable domination sur les Etats akans environnants qui ne parvenaient pas à grandir en puissance du fait de sa monopolisation des mines d’or. Néanmoins, l’hégémonie des Denkyira a, à terme, simplement été remplacée par l’hégémonie des Ashanti qui se sont livrés, tout au long du 18e siècle à des annexions successives en quête de pouvoir. À la fin de ce siècle, la fédération Ashanti règne sur une grande partie du monde akan, tout en se heurtant à la résistance des Fantis. Elle devient si puissante qu’elle se livre au cours du siècle suivant à de multiples guerres contre les Britanniques du fait de son opposition à devenir un protectorat.
L’actuel Asantehene, Otumfuo Nana Osei Tutu II, intronisé le 26 avril 1999 vit aujourd’hui à Kumasi, qui demeure la capitale de l’Empire.
Le chef du village d’Anyinam, berceau natal d’Osei Tutu I, l’aurait décrit à l’historien Casely-Hayford comme leur « messie, brave, intelligent », louant ses exploits parmi lesquels l’édification d’une culture qui n’aurait pas muté, ayant été l’œuvre d’un grand homme. L’héritage d’Osei Tutu est donc celui d’une civilisation dont il a posé les bases dans l’objectif d’unification de peuples divisés et dominés. Tout comme les symboles ont su réaliser une unité artificielle des Ashanti à dessein en 1701, leur subsistance de nos jours atteste de la pérennité de cette riche civilisation dans le Ghana actuel.

étudiante en L3 Droit et membre active à ESMA
Bibliographie
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David Emru. “Osei Tutu.” Black History Pages, Web.archive.org, 21 août 2006, web.archive.org/web/20060821160558/www.blackhistorypages.net/pages/oseitutu.php.
Himasaram, (2006) Flag of Ashanti [Photographie]. Wikimedia Commons. https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Flag_of_Ashanti.svg.
Casely-Hayford, Gus (2012). The Lost Kingdoms of Africa. Croydon: Bantam Press. pp. 260–261. ISBN 9780593068144
Monique BERTRAND, Anne HUGON, « GHANA », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 25 novembre 2020,
http://www.universalis-edu.com/encyclopedie/ghana/
UK Gov. (1936). « Photo of the Asante Golden Stool with its immediate caretaker.» [Photographie]. Wikimedia Commons. https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Golden_stool_31_January_1935.jpg.
Retlaw Snellac, (2005). King Asantehene Osei Tutu II of Ashanti Asanteman. [photographie]. Wikimedia Commons CC BY 2.0. https://commons.wikimedia.org/wiki/File:King_Asantehene_Osei_Tutu_II_of_Ashanti-Asanteman.jpg
Zajaczkowski Andrzej. La structure du pouvoir chez les Ashanti de la période de transition. In: Cahiers d’études africaines, vol. 3, n°12, 1963. pp. 459-460.
Sogoba, Mia. “Histoire Des Ashanti : Empire Et Colonisation.” Cultures D’Afrique De L’Ouest, 15 juin 2018, www.culturesofwestafrica.com/fr/histoire-des-ashanti-empire-et-colonisation
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