Le Libéria
Comme vous l’aurez deviné, c’est le Liberia qui est mis à l’honneur !
ESMA vous emmène à la découverte de ce pays à travers le portait de la première femme présidente d’Afrique : Ellen Johnson Sirleaf.
Ellen Johnson Sirleaf : première femme élue présidente en Afrique

Le Libéria : “premier pays d’Afrique à avoir élu une femme présidente”. Le nom de cette femme – Ellen Johnson Sirleaf, est parfois tristement ommis pour en préférer le symbole. Bien qu’il faille se féliciter de la grande avancée sociétale que cette élection représente et des aspirations que celle-ci a pu susciter : se limiter au symbole, c’est occulter la personne derrière l’épithète. Pourtant, seule une analyse de sa singularité peut nous dévoiler toute la profondeur de son action. Aller au-delà du seul symbole, c’est se rendre compte qu’une figure symbolique n’est pas automatiquement un modèle. Le portrait de Johnson Sirleaf, figure politique incontournable du Libéria, nous permettra d’exposer les nuances du Libéria de son temps.
Libéria : fondé sur une dystopie ?
Par son seul nom, le Libéria cristallise les nombreuses interrogations sur son fonctionnement. Pour le goût de la liberté que son appellation témoigne, un œil sur l’histoire du Libéria permet d’observer le degré de comblement de cette prophétie nominale.
La naissance du Libéria contemporain est intrinsèquement liée à la fondation de Monrovia par des settlers américains au XIXe siècle. Cette fondation ne vient pas sceller le destin d’un territoire vierge de tout habitant. Tout au contraire, les autochtones de ce territoire ont leur histoire, et des puissances occidentales telles que la France, la Hollande, l’Angleterre et le Portugal ont longtemps essayé de faire de ce territoire le leur.
Seulement, lorsque nous parlons du Libéria contemporain, la date césure de 1822 est communément retenue. C’est à cette date qu’une société philanthropique américaine (la Société américaine pour la colonisation) fonde Monrovia, dans le but de faire de ce lieu un refuge pour les esclaves affranchis d’Amérique du Nord. Cette volonté provient de débats abolitionnistes qui animent la société aisée américaine de cette époque, mais n’est pas pour autant originale. En effet, un projet du même type a été mené par la Grande-Bretagne au Sierra-Leone. La seule différence se trouve dans la conduite du projet : la Grande-Bretagne avait pour ambition de faire de la Sierra Leone une extension de son territoire, alors que le Libéria a été libéré de toute mainmise dès 1847. Il a d’ailleurs été le seul État libre du continent africain pendant plus d’un siècle.
Libre de toute puissance étrangère, la société libérienne se constitue peu à peu, une organisation se fonde sur les terres et s’ancre dans les mentalités. L’ambition est alors de faire une République libre dans ce territoire, d’être le “Land of Liberty”. Mais qu’en est-il réellement ? L’idéal moral de liberté est loin d’être généralisé sur le territoire. Libres, les anciens esclaves venus des Etats-Unis le sont totalement : la population qui migre va en effet occuper les postes de pouvoir et constituer l’élite du pays. Comme toute élite, celle-ci va bâtir sa longévité sur l’endogamie. Ainsi les populations autochtones vivent en cohabitation sur leur propre terre, avec une élite qui ne se soucie pas d’elles.
De l’idéal d’un État libre, la dystopie s’installe autour d’une hiérarchie sociétale dans laquelle les élites américano-libériennes se dotent de privilèges et méprisent les populations indigènes.
Ellen Johnson Sirleaf : un héritage de privilèges particuliers
Au milieu de cette organisation élitiste et privilégiée, la famille d’Ellen Johnson Sirleaf fait figure d’exception. À sa naissance en 1938 : les américains-libériens forment donc l’élite, et les indigènes sont circonscrits au rôle de subalternes dans la société. Du côté paternel, les Johnson sont des indigènes, leur position sociale est donc déterminée de fait : rien ne présageait cette famille à un futur différent de tous les membres de leur communauté.
Pourtant le père d’Ellen Johnson Sirleaf, Jahmale Carney Johnson, a une trajectoire singulière pour un membre de la communauté indigène. Enfant, il est adopté par une famille américano-libérienne, laquelle change sa trajectoire. Cette adoption a une conséquence non négligeable sur le futur de l’homme, puisque Jahmale Carney Johnson devient le premier homme d’ascendance indigène à siéger au parlement libérien. Une telle fonction a pu être atteinte en raison de l’instruction dont le père a pu bénéficier, et celle-ci découle de son bain social américano-libérien, puisque les indigènes en étaient privés. Qu’une adoption change radicalement le futur d’un homme – de perspectives misérables à membre de l’élite – prouve d’une part l’ancrage dans les mœurs de la hiérarchie des individus sur la terre libérienne. D’autre part, cela souligne l’illogisme des fondements d’une telle hiérarchie puisqu’il est possible d’être un transfuge ethnique au bon vouloir de l’ethnie dominante.
L’accession à la présidence

Guerres civiles et prise de position
De ses origines familiales, Ellen Johnson Sirleaf a conservé le goût pour l’engagement. Dès 1961, la jeune femme part aux États-Unis pour étudier. Après avoir obtenu une maîtrise en administration publique à Harvard en 1971, elle rentre au Libéria pour intégrer la fonction publique.
Sous la présidence de William Tolbert (1971-1980), elle est nommée pendant un an et jusqu’en 1973 ministre adjointe des Finances. En 1980, le militaire Samuel K. Doe est à la manœuvre d’un coup d’État qui l’installe au pouvoir. Lors de ce coup d’État, le sanguinaire Doe tue son prédécesseur Tolbert et fait exécuter un grand nombre de membres du gouvernement en public. Un véritable régime de la terreur est institué, des exécutions sont sommairement actées. Ellen Johnson Sirleaf est critique mais silencieuse à propos de la dictature Doe, elle accepte paradoxalement un poste de ministre des Finances de ce même homme, de 1980 à 1985. A partir de 1985, elle quitte le gouvernement et mène une campagne sénatoriale en critiquant ouvertement le régime dictatorial. Ces critiques assumées lui valent une arrestation et une condamnation à dix ans de prison, elle échappe par ailleurs de peu à une exécution. Rapidement libérée, elle est contrainte à un exil de douze années durant lequel elle se rendra au Kenya et aux Etats-Unis.
Dès 1989, le pays est plongé dans une guerre civile, celle-ci oppose les autochtones aux descendants d’esclaves américano-libériens. Le dictateur Samuel Doe est un descendant de l’ethnie des Krahns, originaire de l’intérieur des terres libériennes. Sa présidence représente la première accession des autochtones à la tête du pays. La politique sanguinaire de Doe favorise les membres de son ethnie, ce qui provoque des conflits sociaux, lancés par les américains-libériens et réprimés à bout portant par l’armée de Doe. Le conflit semble interminable et les combats s’enlisent ; en 1997, près de dix ans après le début de la guerre, Ellen Johnson Sirleaf se présente aux élections présidentielles comme candidate du Parti de l’unité. Cette femme, membre à la fois des élites d’ascendance américaine et autochtone, pense pouvoir unir les deux parties.
Les élections sont finalement gagnées par Charles Taylor, un chef rebelle d’ascendance américano-libérienne. Membre de l’élite, il combat le pouvoir de Samuel Doe lors de la guerre civile : non pas pour parvenir à l’unité, mais pour préserver la hiérarchie sociale selon laquelle les américains-libériens sont supérieurs. Président de 1997 à 2003, il suspend les libertés individuelles, fait exécuter ses opposants et centralise un véritable pouvoir autoritaire. Lors de son mandat, Ellen Johnson Sirleaf est de nouveau contrainte à l’exil car accusée de trahison pour avoir voulu l’unité.
Le mandat de Charles Taylor, achevé de façon abrupte et forcée en 2003, mène à un gouvernement de transition en attente de nouvelles élections. En 2012, Charles Taylor est reconnu coupable de crimes contre l’humanité par le tribunal spécial pour la Sierra-Leone, faisant de lui le premier ancien chef de l’Etat condamné depuis les procès de Nuremberg (1945-1946). Condamné à 50 ans de prison, il purge sa peine dans une prison britannique.
Le Libéria post Taylor est en ruine et l’unité nationale est plus basse que jamais : c’est seulement à cet instant, en 2003, que Ellen Johnson Sirleaf pénètre à nouveau dans son pays d’origine. Après deux années de gouvernement de transition, les élections sont organisées en 2005. Arrivée seconde au premier tour du scrutin, elle bat l’ancien footballeur et futur président George Weah au second tour. Elle devient ainsi présidente du Libéria, après sa prestation de serment le 16 janvier 2006. Son élection est un événement retentissent dans son pays, en Afrique mais aussi dans le monde, puisqu’elle est la première femme élue présidente sur le continent africain. Très vite, des portraits d’elle sont rédigés un peu partout sur le globe, son visage est à la une de nombreux journaux en Occident : oubliant presque la dimension politique de sa fonction, la communauté internationale s’émeut du symbole.
Présidence, la Dame de Fer libérienne
Pourtant, de très nombreux défis attendent Ellen Johnson Sirleaf et son accession au pouvoir survient à un moment déterminant pour le futur du pays. Les attentes de la population vis-à-vis de son action n’en sont pas moins nombreuses. Comme nous avons pu le voir, Ellen Johnson Sirleaf n’hérite pas de la présidence dans un contexte serein. Le Libéria est toujours gangrené par de nombreux combats internes dont il faut nécessairement se défaire : la guerre ethnique et le poison de la corruption. Le pays doit ainsi connaître de nombreuses mutations. S’affirmant être à son poste pour l’unité et la lutte contre la corruption, les combats politiques de la présidente Johnson Sirleaf lui valent le surnom de “Dame de Fer libérienne”. Les mots de la Présidente donnent de l’espoir à son peuple, mais qu’en est-il dans les faits ?
Une postérité mêlant douceur et amertume
À l’heure du bilan, la population libérienne ne regarde pas avec nostalgie les douze années de mandat de Sirleaf. Après deux mandats, Sirleaf plie bagage en 2017 sans tenter de briguer un troisième mandat, inconstitutionnel mais que des conseils lui demandent d’essayer.
Premièrement, le problème du train de vie des élites par rapport à la population hautement critiquée par cette dernière n’a pas été résorbé. Interrogé par le journal Le Monde en 2017, Anara Kromah, chauffeur routier, dit que le Libéria est “un pays béni peuplé de maudits”. En effet, les deux tiers des Libériens doivent survivre avec moins de deux dollars par jour, l’accès à l’eau, l’électricité et à des systèmes de soin et d’éducation est très compliqué. Dans ces conditions, le mode de vie aisé des élites politiques est très mal perçu, et la présidente Johnson Sirleaf ne semble pas très engagée pour rompre ces inégalités. Dans son action, la présidente a bien créé la Commission libérienne de la lutte contre la corruption (LACC) : mais cela n’est qu’un cadre sans toile, puisqu’aucune volonté politique n’a été mise en œuvre. Des ministres et autres hauts placés de l’administration corrompus n’ont pas été virés, seulement quelques-uns l’auront été pour l’exemple. Pour l’exemple uniquement puisque Ellen Johnson Sirleaf a elle-même joui sans discrétion des privilèges des élites. Loin d’être frontalement en opposition à ces avantages, elle en fait profiter ses proches en plaçant deux de ses enfants à des postes hauts-placés, avec pour unique justification de ces promotions les liens du sang.
La population libérienne a connu une forte crise économique à la suite de l’épidémie d’Ebola (2014-2015), le niveau d’acceptation de telles inégalités était de plus en plus bas à mesure que les conditions de vie se dégradaient. Le pays est ainsi sujet à de plus en plus de contestations de l’intérieur, le ras-le-bol s’exprime plus librement : de nombreux diplomates interprètent l’absence d’explosion sociale par le refus d’Ellen Johnson Sirleaf de tenter de lire la Constitution à son avantage en essayant de briguer un autre mandat. Ainsi, le peuple a pu avoir l’espoir qu’une transition par les urnes arriverait dès 2017.
Le mandat d’Ellen Johnson Sirleaf : tout à jeter ?
Le bilan d’Ellen Johnson Sirleaf lors de ses deux mandats est loin d’être unanimement salué. En dépit de cela, il n’est pas entièrement rejeté, notamment de la communauté internationale, puisque Sirleaf se voit attribuer le Prix Nobel de la Paix en 2011 aux côtés de sa compatriote libérienne Leymah Gbowee et de la Yémenite Tawakkol Karman. En 2011, c’est l’entre-deux mandats pour la candidate Sirleaf à sa réélection. Ce prix a joué un rôle dans sa campagne : comment critiquer et battre électoralement une personne qui se voit décerner la plus haute distinction dans l’engagement pour la paix ? Comment légitimer des critiques, si la communauté internationale semble voir la perfection absolue au tableau de la présidente Johnson Sirleaf ?
En effet, l’aura de Johnson Sirleaf à l’étranger n’a quasiment jamais été remise en question, chacun de ses discours engagés contre la corruption ou encore contre les violences sexistes et sexuelles et pour l’unité nationale ont été entendus et salués hors des frontières libériennes. Seulement, dans son pays, on lui reproche de n’avoir tenu aucune de ses promesses, ni sur le plan économique et sociale, ni sur le tissage d’une unité nationale. Pour cela, le prix Nobel a été longuement critiqué par une partie de la population libérienne, quelle paix salue-t-on si celle-ci n’a été atteinte ni économiquement ni socialement ?
Aujourd’hui, les maux du Libéria restent nombreux et le nouveau président Weah (élu en 2017) a eu à trouver le juste équilibre entre la préservation de l’image présidentielle à l’international et les réalités intérieures. Toutes les perversions sociales et autres inégalités sont autant de défis de l’actuelle présidence pour bâtir une unité nationale.
Regarder le Libéria à travers le parcours de Johnson Sirleaf, c’est s’apercevoir de la profondeur des enjeux qui se dressent encore aujourd’hui dans ce pays. Fonder l’idéal moral de liberté dans son nom n’est pas sans conséquence, tant la rigueur que cela appose sur l’action publique est forte. Déjà très exigeante lorsqu’elle n’est qu’une devise, qu’un pays porte son ambition morale dès son nom semble d’autant plus intransigeant qu’elle ne peut s’escamoter. En effet, la population libérienne apparaît déterminée à faire respecter la cohérence entre le nom de leur pays et son quotidien.

Master 1 de CTM à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne, co-responsable du pôle rédaction chez ESMA.
BIBLIOGRAPHIE
Paulais, Thierry. 2018. « La rupture et les guerres civiles ». Mobilisations: 187‑265.
OTAYEK, René, « LIBERIA ». https://www.universalis.fr/encyclopedie/liberia/
CHATELOT Christophe « Au Liberia, le bilan plombé d’Ellen Johnson Sirleaf ». 9 octobre 2017, Le Monde https://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/10/09/au-liberia-le-bilan-plombe-d-ellen-johnson-sirleaf_5198209_3212.html
« Ellen Johnson Sirleaf, la «Dame de fer» libérienne ». 2011. AFP. Libération.fr. https://www.liberation.fr/planete/2011/10/07/ellen-johnson-sirleaf-la-dame-de-fer-liberienne_766391
.A Brief History of Liberia and Africa’s Iron Lady | Ellen Johnson Sirleaf. New africa https://www.youtube.com/watch?v=VTpK-cqrFHc
« Sierra Leone : Charles Taylor jugé coupable de crimes contre l’humanité ». leparisien.fr. https://www.leparisien.fr/international/sierra-leone-charles-taylor-juge-coupable-de-crimes-contre-l-humanite-26-04-2012-1972966.php
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