Point Histoire : Le Cameroun

Le Cameroun

Comme vous l’aurez deviné, c’est le Cameroun que nous mettons à l’honneur pour le mois de février. ESMA vous présente une partie de l’histoire de ce grand pays !

« Ce que nous voulons affirmer une fois de plus, c’est que nous sommes contre les colonialistes et leurs hommes de main, qu’ils soient blancs, noirs ou jaunes, et nous sommes les alliés de tous les partisans du droit des peuples et nations à disposer d’eux-mêmes, sans considération de couleur » 

Tels étaient les mots prononcés par le militant indépendantiste et personnalité politique camerounais Ruben Um Nyobè lors d’un discours tenu le 17 avril 1955. Pionnier des indépendances africaines, considéré par beaucoup comme le « père de la révolution camerounaise », Ruben Um Nyobè est une figure longtemps évincée de l’histoire et de la mémoire du Cameroun dont la mention fût interdite dans son pays natal jusqu’en 1990. Pourtant meneur du mouvement indépendantiste camerounais, cet homme constitue un personnage incontournable de l’histoire du Cameroun actuel. 

Cameroun, Cameroons ou Kamerun ? 

À la naissance de Ruben Um Nyobè en 1913, le pays est placé sous protectorat allemand, la souveraineté ayant été cédée aux Allemands par les rois Douala en 1884. Le pays porte alors le nom de Kamerun tandis que son territoire est envié par la France ainsi que la Grande-Bretagne qui lui portent un intérêt croissant. 

À l’issue de la Première Guerre mondiale et du traité de Versailles, l’Allemagne ne peut plus exercer son protectorat alors même que les puissances coloniales française et britannique affirment leurs velléités sur la région qu’elles ont occupée durant la guerre. Bien que le Cameroun ne soit pas annexé, il est placé sous mandat britannique et français, ce qui lui accorde un statut particulier dans la mesure où le pays n’a de fait jamais été une colonie. Son territoire est partagé entre la France et la Grande-Bretagne, séparant ainsi le « Cameroun » français des « Cameroons » anglais. Le pays s’organise autour d’une nouvelle structuration qui favorise l’opposition des populations pendant qu’une colonisation s’opère dans les faits. 

Ruben Um Nyobè : l’homme du peuple 

Dans son côté, Ruben Um Nyobè grandit dans la partie du Cameroun placée sous mandat français. D’origine paysanne, il est éduqué dans les milieux protestants, fait assez rare pour l’époque qui lui permet de devenir fonctionnaire et le conduit à s’intéresser à la politique. Dès 1944, Ruben Um Nyobè s’illustre en tant que militant syndicaliste au sein de l’Union des syndicats confédérés du Cameroun (USCC) dont il est le secrétaire général. Fils de paysan et proche des masses populaires, Ruben Um Nyobè acquiert rapidement une grande popularité auprès des populations camerounaises ce qui lui vaut le surnom de Mpodol soit « celui qui porte la voix des siens » en bassa

Tandis que les revendications syndicalistes se muent en sentiment national, le mouvement de l’Union des populations du Cameroun (UPC) est créé en avril 1948, largement influencé par le Rassemblement démocratique africain (RDA) créé deux ans auparavant avec à sa tête le panafricaniste ivoirien Félix Houphouët-Boigny. Ruben Um Nyobè est le secrétaire général de l’UPC et en devient rapidement la figure de proue. 

Un leader pragmatique à la tête de l’UPC 

L’un des traits caractéristiques de Ruben Um Nyobè réside dans le pragmatisme de ses discours. Aspirant à une indépendance réelle de son pays, il s’émancipe des discours vides de sens pour établir un plan d’action clair prenant en compte les conditions matérielles de vie des populations. Conscient des difficultés que rencontre son pays face à l’analphabétisme, il œuvre pour la création d’écoles du parti tout en insistant sur la nécessité de construire un parti « agissant par le bas ». 

Son action s’articule autour des principes directeurs d’indépendance, de réunification et de justice sociale, ce qui passe selon lui par une émancipation sociale et une égalité économique à l’égard de la puissance coloniale française. Il se positionne également en adversaire du tribalisme dans un pays marqué par une grande diversité ethnique et s’oppose à l’instrumentalisation coloniale de la religion. 

Surtout, Ruben Um Nyobè insiste sur l’importance d’une réunification du Cameroun qui est selon lui la condition sine qua non de l’indépendance économique du pays. Alors que la question de l’indépendance peine encore à s’imposer chez les leaders politiques africains, le secrétaire général de l’UPC propose un programme politique global renforcé par un important recours au droit. 

L’affirmation d’une figure internationale

Fidèle au pragmatisme qui le caractérise, Ruben Um Nyobè tente de s’appuyer sur le statut  juridique particulier du Cameroun qui, en tant que mandat, fait du droit international un véritable moyen d’action dans la lutte pour l’indépendance. Entre 1952 et 1954, il est entendu par la commission des tutelles de l’ONU afin de mettre en évidence les contradictions entre la réglementation internationale officielle et l’administration française. Ces discours lui offrent une notoriété accrue sur la scène internationale et un soutien grandissant. 

Cette situation conduit le gouvernement français à prendre des mesures. Le 13 juillet 1955, l’UPC est dissoute et interdite, cantonnant toutes les actions politiques de Ruben Um Nyobè à l’illégalité. Alors que jusqu’à présent l’UPC était un mouvement pacifique, ses responsables sont pourchassés par l’administration française et souvent contraints à l’exil. 

Une accession à l’indépendance entachée par la répression des dirigeants de l’UPC 

Malgré plusieurs tentatives, Ruben Um Nyobè ne parvient pas à faire réhabiliter l’UPC. Contrairement à la majorité des dirigeants du parti, il ne quitte pas le pays et se réfugie dans les maquis de la région de la Sanaga-Maritime où il est né. Pour lutter contre la résistance, l’administration française déploie des dispositifs militaires comparables à ceux utilisés contre le FLN en Algérie et traque pendant près de trois ans l’ancien secrétaire général. Ruben Um Nyobè est finalement abattu le 13 septembre 1958 près de son village natal. 

Peu après, la France annonce la préparation de l’indépendance du Cameroun. C’est finalement le 1er janvier 1960 que l’indépendance est proclamée par Ahmadou Ahidjo, homme politique musulman pro-français installé au pouvoir afin de construire une indépendance de façade. 

Si le nom de Ruben Um Nyobè est réhabilité au moment de la libéralisation politique du Cameroun dans les années 1990, aucun travail de mémoire n’est opéré et son nom reste trop souvent oublié. Cependant, certains auteurs tels que le célèbre écrivain camerounais Mongo Beti ont œuvré dans leurs écrits pour que Ruben Um Nyobè retrouve sa place de « père de la révolution camerounaise » dans l’histoire et les mémoires. 


Bibliographie

BETI Mongo. « Bref rappel historique », , Main basse sur le Cameroun. Autopsie d’une décolonisation, sous la direction de Beti Mongo. La Découverte, 2010, p. 29-46.

BOUAMAMA Saïd. « 5. Ruben Um Nyobè », , Figures de la révolution africaine. De Kenyatta à Sankara, sous la direction de Bouamama Saïd. La Découverte, 2017, p. 98-116.

DELTOMBE Thomas, « Cameroun, il y a cinquante ans, l’assassinat de Ruben Um Nyobè », Le Monde diplomatique, 13 septembre 2008 URL : https://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2008-09-13-Cameroun

MBEMBE Achille, « Pouvoir des morts et langage des vivants. Les errances de la mémoire nationaliste au Cameroun », Politique africaine, no 22, juin 1986, p. 37-72

MBEMBE Achille, Naissance du maquis dans le sud-Cameroun, Karthala, 1996


Clarisse Darnaude 
M1 Techniques, Patrimoine et Territoires de l’Industrie – Université Paris I Panthéon-Sorbonne  et Secrétaire générale d’ESMA 

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