Le Rwanda
Comme vous l’aurez deviné, c’est le Rwanda que nous mettons à l’honneur pour le mois de janvier. ESMA vous propose de découvrir une partie de l’Histoire de ce grand pays !
Le roi Yuhi V Musinga et la résistance royale à l’assimilation
Le 27 octobre 1946, Charles Rudahigwa, Matara III, devient le premier mwami (roi) converti au christianisme. Intronisé 12 novembre 1931 à l’âge de 19 ans, il succède à son père, Musinga, Yuhi V, déposé par une concertation du résident de Ruanda, le vice-gouverneur du Rwanda-Uruduni et le vicaire apostolique monseigneur Léon-Paul Classe. Sous le règne de Musinga, troublé du début à la fin, le royaume du Rwanda connaît des transformations socio-politiques importantes au tournant du 20e siècle.
À la mort du mwami Kigali IV en 1895, son fils adoptif Rutalindwa lui succède. Sa mère étant décédée, l’une des épouses du défunt, Kanjogera est désignée comme reine-mère, un rôle important dans la dynastie Abanyiginya. Kanjogera a pourtant son propre fils, Musinga, alors âgé de douze ans.
L’intronisation de Rutalindwa fait naître des tensions au sein de la cour. Le camp de la reine-mère, composé de ses frères Kabare, un chef guerrier, et Ruhinanko, s’oppose au camp de Rutalindwa. Ces contestations aboutissent enfin, en décembre 1896, au coup d’Etat de Rucunshu, une localité de la province du Sud. Cet événement sanglant est aujourd’hui utilisé de référence pour sa violence par l’expression “byacikiye ku Rucunshu”, qui signifie “les choses se sont déchirées comme à Rucunshu”. En effet, Kanjogera et ses frères orchestrent une prise de pouvoir qui se solde par des assassinats de chefs et pousse le mwami Rutalindwa et ses proches au suicide lorsque leur défaite apparaît imminente. Lorsqu’il apprend la destruction du karinga, le tambour royal le plus important, Kabare aurait déclaré qu’ils pourraient obtenir un autre, dès lors qu’ils avaient déjà un nouveau mwami.

Ainsi, à treize ans, Musinga est intronisé avec le titre de Yuhi V, la reine-mère et son frère chargés de la régence. Du fait de son jeune âge, sa mère Kanjogera assure toutes les responsabilités de la cour. Malgré l’instauration d’un établissement allemand à Ishangi en 1898, la cour à Nyanza conserve ses pouvoirs indépendamment de cette présence étrangère.
L’arrivée du premier missionnaire catholique le 2 février 1900 a un impact direct sur l’exercice des pouvoirs du mwami sur son royaume. Musinga s’oppose à la christianisation, en tant que roi divin dont l’autorité spirituelle sert à affermir son pouvoir politique. Les « Pères blancs », membres d’une société de vie apostolique missionnaire de droit pontifical, voient les croyances et coutumes locales d’un mauvais œil, les qualifiant de « pratiques païennes », de superstitions et de paganisme. La spiritualité devient ainsi un facteur de cristallisation des tensions entre la cour et les missionnaires. L’arrivée des Belges, en 1919, après la défaite allemande, ne fait que dégrader la situation car ceux-ci n’hésitent pas à s’immiscer dans les pouvoirs du mwami, ce que les Allemands n’avaient pas fait. Ces derniers avaient, au contraire, contribué à la consolidation du pouvoir royal sur les territoires autonomes. Le mandat belge devait pourtant être exercé sur un système d’administration indirecte. L’abolition du droit de glaive fait notamment perdre au mwami le droit de vie et de mort sur ses sujets.
Alors que Musinga s’opposait farouchement à la conversion, ses fils, dont Rudahigwa, étaient éduqués à l’école des Pères blancs. En 1922, un vicariat apostolique s’installe à Kigali et avec lui, le vicaire qui sera associé à la destitution de Musinga le 12 novembre 1931.
En plus de son refus catégorique de Musinga de se convertir au catholicisme, il peine à consolider son pouvoir mais les Belges craignent qu’ils parviennent à rallier les chefs dans son opposition à l’assimilation. Le 12 novembre 1931, le gouverneur du Ruanda-Urundu, Charles Voisin, l’informe de sa déposition et l’ordonne de se préparer à quitter la cour pour Kamembe, son lieu d’exil situé dans la province du Sud, dans les quarante-huit heures. Son fils, Rudahigwa, qui s’était rapproché des ordres missionnaires, lui succède immédiatement le 16 novembre. Son règne constitue un des tournants de la culture et de l’histoire rwandaise, par le rôle éminemment politique joué par la religion, de tout temps et dans toute société. Rudahigwa, qui règne sous le titre Mutara III, a pour nom de baptême Charles Pierre Léon Rudahigwa et dédie le royaume au Christ-Roi.

Après l’éclatement de la Seconde Guerre Mondiale, les Belges commencent à craindre un retour de Musinga, qui avait la faveur des Allemands. Ils décident de l’exiler à Kilembwe, au Congo Belge, où il meurt à Moba le 13 janvier 1944.

Etudiante en M1 Droit des affaires à Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne – Coordinatrice de la rubrique Pays à l’honneur
Bibliographie :
« Musinga, Yuhi V | AfricaMuseum – Archives ». Consulté le 2 mars 2022. https://archives.africamuseum.be/agents/people/742.
Servilien M. Sebasoni, Les origines du Rwanda, L’Harmattan, 2000, p. 115.
The New Times | Rwanda. « KNOW YOUR HISTORY: King Musinga and the Bitter History of Colonialism », 19 août 2015. https://www.newtimes.co.rw/section/read/191713.
Forges, Alison Des. Defeat Is the Only Bad News: Rwanda under Musinga, 1896–1931. Univ of Wisconsin Press, 2011.
Votre commentaire