Point histoire : Maurice

La République de Maurice

Comme vous l’aurez deviné, c’est la République de Maurice que nous mettons à l’honneur pour le mois de janvier. 

L’histoire de l’ancrage de l’Hindouisme à Maurice 

Maurice est une île dont l’histoire coloniale a intrinsèquement participé à diversifier les multiples ethnies, coutumes, et confessions religieuses la peuplant. Le pays aujourd’hui est le seul en Afrique dont la religion principale est l’hindouisme, et l’histoire de son implémentation amène à s’intéresser également à l’histoire de l’immigration indienne sur l’île. 

Les origines de l’engagisme : explication d’une importante migration indienne  

Une majorité de la population de l’île aujourd’hui est de confession hindoue. L’histoire de l’importation des coutumes et croyances venant de l’Inde est liée à l’histoire de la colonisation, et des méthodes opérées par les colons afin de toujours veiller à avoir de la main d’œuvre.

C’est en 1598 que les Hollandais s’emparent de ce territoire qui jusqu’alors n’était pas peuplé, et par la suite, en 1715, ce sont les français qui pendant près d’un siècle imposeront leur présence. La France bâtie à Maurice une véritable société de plantation basée sur l’exploitation de l’industrie sucrière. Les empires coloniaux toutefois basent leur expansion économique sur le trafic et l’exploitation d’esclaves, ce qui n’échappera pas au cas de Maurice : dans le pays sont importés à cette période de nombreux esclaves africains ou venant parfois de Madagascar.  En 1810, les britanniques prennent le relais et succèdent à la France, mais connaissent des difficultés au moment de l’abolition officielle de l’escavage en 1835. Les occupants ont besoin de nouveaux bras dans les champs de canne et à ce moment, doivent trouver un substitut convenable pour remplacer la main d’œuvre gratuite que le système esclavagiste pouvait exploiter à sa guise. C’est à ce moment là que nait “l’engagisme”, apparaissant comme un substitut idéal suite à la perte de la main d’oeuvre issue de l’esclavage. Ce processus se définit comme étant un “système de recrutement dans la colonie britannique des Indes, de travailleurs volontaires sous contrat de cinq ans”. L’engagisme est ainsi à l’origine du déplacement de près de 500 000 indiens vers l’île Maurice entre 1835 et 1907, qui constitueront en 1861 près de deux tiers de la population de la colonie. 

Territorialisation d’une communauté et de ses croyances

Pour qu’une diaspora puisse s’implémenter correctement dans un territoire dans lequel elle a immigrée, il y a besoin de recréer sur place l’environnement similaire à ses terres d’origine. C’est parce que les diverses ethnies indiennes ont pu s’installer durablement qu’elles ont pu recréer les conditions adéquates à la pratique de leur religion. Tout ceci commence en 1861 lorsque les indiens de l’île commencent à accéder à la propriété. En effet, la fin du 19ème siècle est assez dure financièrement pour les planteurs, ce qui les pousse à céder certaines terres de canne peu rentables aux “engagés”. En effet, en 1878, la “Labour Ordinance” libéralise l’accès à la terre, ce qui permettra aux indiens en 1881, de représenter 46,5% du nombre total de planteurs sur l’île. Les engagés indiens peuvent donc s’installer hors des plantations et créer des zones villageoises, leur permettant de recréer un tissu communautaire, “un tissu social indien”.  Les indiens sont alors de plus en plus présents dans l’espace public, hors des plantations, car ils investissent les emplois publics mais aussi les professions libérales. Tous ces éléments donnent la possibilité de recréer un espace où l’hindouisme peut prospérer. En 1948, le droit de vote est élargi à toutes les personnes alphabétisées ou propriétaires, ce qui donne alors à la communauté indienne l’occasion d’être également représentée politiquement. Toutes les sphères sont donc investies par les indiens qui peuvent se réapproprier un territoire, et le mobilisent pour y installer leurs lieux de culte. 

L’édification de lieux de cultes 

Selon Hazareesingh, les engagés ont pendant longtemps perdu  les liens qu’ils avaient avec leur culture et ressentaient un sentiment de nostalgie :  “Les premiers Indiens arrivés à Maurice, se souvenant avec nostalgie des pèlerinages qu’ils faisaient sur les bords du Gange”. L’aspect religieux est donc important pour ces immigrés, pour garder un lien avec leur terre d’origine. La question de recréer à Maurice des lieux de cultes a donc été primordiale, toutefois, le paysage de l’île n’est pas tout à fait similaire aux « fleuves majestueux de la péninsule indienne”. En effet, l’hindouisme en Inde repose sur divers pèlerinages sur des fleuves sacrés, car l’eau y joue un rôle de purificateur. Construire des lieux de cultes est une évidence pour un peuple dont la religion repose surtout sur la bonne réalisation des rites plus que sur la foi, et la création de divers temples veille à combler les lacunes dont souffre manifestement les indo-mauriciens. Un lieu sur l’île incarne la transportation des croyances hindoues à Maurice: le Grand Bassin, un lac situé dans un ancien cratère volcanique. Aussi appelé le “Ganga Talao”, le Grand Bassin est devenu un lieu de pèlerinage notamment car il possède nombre de similitudes avec des lieux de la mythologie hindoue. Certains peuvent y voir une ressemblance avec le Mansarovar des Himalayas, refuge de Shiva, car les deux lieux se trouvent “perchés au creux des hautes terres du Plateau Central”.

Photo du Grand Bassin

Tout commence en réalité en 1897 lorsqu’un prêtre hindou fait un rêve dans lequel le Grand Bassin fait jaillir les eaux du Gange. Ce rêve fait bientôt le tour de l’île et ancre dans l’esprit des indo mauriciens l’idée que le Ganga Talao est un lieu de culte à placer au centre du pèlerinage hindou. Le Grand bassin en 1972 franchit un “cap” dans son indianisation : c’est en effet à cette date qu’un spécialiste religieux indien y verse de l’eau du Gange importé directement d’Inde, pour définitivement marquer la légitimation de cette zone comme faisant parti du pélerinage hindou. C’est ainsi en ce lieu que sont édifiées de nombreuses statues à l’effigie de divinités. 

Mangal Mahadev, sculpture représentant Shiva, situé à l’entrée du grand bassin 

D’autres éléments sont des exemples de la création d’un paysage hindou à l’île Maurice : des sanctuaires sont par exemple créés au cœur des champs de cannes. Ces derniers sont nommés des “kalimai” et sont déjà présents à Maurice au 19ème siècle lorsque les indiens étaient encore des engagés, travaillant pour les planteurs. L’édification de ces sanctuaires s’effectuent à la suite de la découverte d’une pierre à la forme ou couleur spéciale: cela serait une preuve que dieux hindous se manifestent auprès de leurs croyants, même en dehors du territoire indien. Par la suite, dans les villages, des lieux de culte sont aussi construits, comme des autels, présents dans la sphère privée ou dans la sphère publique (dans les rues par exemple). 

Ainsi, l’importation de l’hindouisme à Maurice est le fruit d’un processus historique long, qui commence avec l’histoire de la colonisation et de l’exploitation des travailleurs indiens. Petit à petit, la reconfiguration par les immigrés de leur culture et croyances sur leur nouveau territoire s’affirme. L’ancrage de l’hindouisme à Maurice cache l’histoire de l’autonomisation des indo mauriciens, et de leur capacité à investir l’espace public. 


BIBLIOGRAPHIE : 

Carsignol-Singh, Anouck. « LʼInde et la production de lʼindianité à Maurice. » Indianité et créolité à l’île Maurice (2020): 47.

Claveyrolas, Mathieu. « L’ancrage de l’hindouisme dans le paysage mauricien: transfert et appropriation. » Autrepart 4 (2010): 17-37.

Trouillet, Pierre Yves La reterritorialisation de l’hindouisme tamoul à l’Ile Maurice, article publié sur ://teras.hypotheses.org, 29 septembre 2011


Bahati Ali
Étudiante en Master 1 de Communication politique à Paris 1 Panthéon-Sorbonne et Rédactrice en chef

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