La Namibie
Comme vous l’aurez deviné, c’est la Namibie que nous mettons à l’honneur pour le mois de février.
LE GÉNOCIDE DES HEREROS
Comme l’affirme Jacques Semelin dans son ouvrage Sans armes face à Hitler. La résistance civile en Europe, 1939-1943: « Le génocide n’est pas un accident de l’histoire. Il est le syndrome le plus grave de la pire maladie de l’homme : sa violence ». Comment se réconcilier alors avec un passé douloureux, funeste, marqueur d’une cruauté humaine souvent incompréhensible, inintelligible et déplorable ?
Les Hereros, petite tribu de Namibie, située dans le Sud-Ouest africain, parlant une langue bantou et vivant dans la région d’Omaheke à la frontière du Botswana et de l’Angola, s’inscrivent dans le triste livre des martyrs de l’histoire, des peuples victimes de la plus effroyable forme de violence humaine, le génocide. Organisés sous la forme d’une tribu, ils envahissent le Sud-Ouest Africain en 1550, après avoir traversé le fleuve Cunene, passant par l’Angola et se jetant dans l’Océan Atlantique. Avec plusieurs tribus, à l’image des Ovambos et des Kavangos, ils s’installent en Namibie et construisent leur subsistance autour de l’élevage, exploitant d’importants troupeaux de vaches, de moutons et de chèvres, profitant de leurs laits et leurs viandes.
Ils disposent par ailleurs une richesse culturelle marquée par leurs traditions vestimentaires. Les femmes sont reconnaissables à travers leurs longues robes traditionnelles colorées, décorées d’une coiffe en forme de taureau, animal sacré à leurs yeux. Les hommes quant à eux, se distinguent par leurs chapeaux et leurs fines cannes en bois.
Les hereros se distinguent également par leur organisation clanique caractérisée par un modèle exogamique, où les mariages rassemblent nécessairement les membres de tribus différentes. Cependant, la chefferie, elle, se transmettait en ligne paternelle, mais les femmes participent à l’héritage du bétail. D’autre part, attachés au culte des ancêtres, de nombreux Hereros ont adopté le christianisme comme religion.
Mais c’est à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle que le destin des hereros bascule vers la tragédie. Victimes d’une Allemagne à la quête désespérée de colonies face à des concurrents occidentaux à l’influence croissante en Afrique, de nombreux acteurs privés allemands s’installent en Namibie, dans ce qu’ils appelleront à l’époque “ notre cher Sud-Ouest Africain”. L’un des premiers à s’être installé en Namibie sera un marchand allemand nommé Adolf Lüderitz. Constatant la richesse des terres d’Afrique australe en ressources minières, il achète le port d’Angra Pequena et ses terres voisines dès 1883, revendiquant dès lors sa propriété et demande la protection du Reich en échange d’un monopole commercial sur l’exploitation minière. Promesse tenue dès 1884 lorsque le Reich déclare le Lüderitz land comme un protectorat. Cet évènement majeur marquera le début d’une occupation allemande symbole de cauchemar pour ces populations autochtones.
Après la signature d’un traité d’amitié en 1885 entre les Hereros et le gouvernement Allemand sur fond de conflit avec la tribu Nama, les tensions s’enlisent à une grande vitesse lorsque les Hereros constatent l’extension phénoménale des colons allemands provoquant la spoliation de leurs terres et violant les limites territoriales d’exercice de la souveraineté convenues avec les chefs de la tribu. C’est le 12 janvier 1904 qui marque le début d’un conflit sanglant entre les Hereros et l’Allemagne. Menés par leur chef Samuel Maharero, les Hereros mènent une révolte contre les colonies allemandes, 123 civils allemands sont massacrés, les commerces et les infrastructures coloniales sont saccagées. En réaction à cet acte humiliant, débute alors une répression brutale marquant le début du premier génocide du XXe siècle. C’est le général Allemand Lothar von Trotha, connu pour ses dérives autoritaires et sa rigueur, qui sera chargé de restaurer l’ordre dans la colonie allemande avec l’aide de 3500 soldats. Le 11 août 1904, 7500 Hereros sont encerclés sur le plateau de Waterberg dans l’atmosphère désertique du Kalahari. Cette répression majeure provoquera alors le départ de 80 000 Hereros composés de femmes et enfants vers le Botswana voisin, seuls 15 000 survivront. Mais c’est le 2 octobre 1904 que la répression atteint son apogée lorsque le général von Trotha émet un ordre d’extermination précisant que “tout Herero, avec ou sans arme, avec ou sans bétail, sera fusillé”, “le soulèvement est et demeurera le début d’une lutte des races. Je détruirai la révolte des tribus en versant des rivières de sang”.
C’est le début d’une extermination massive et programmée des Hereros. Des camps de concentration sont construits à Windhoek, Shark Island et Swakopmund. Dans ces camps, les enfants de moins de 5 ans font la lessive pour les commerçants, les détenus travaillent enchaînés dans des conditions inhumaines dans une chaleur étouffante. Privés d’installations sanitaires, dormant dans des abris improvisés, nourris à base de farine et de riz dur, ils sont plusieurs milliers à périr de malnutrition, de maltraitance et de maladies. A cet égard, la diminution du nombre de prisonniers enregistrés par les autorités allemandes qui séparent les prisonniers aptes au travail (arbeitsfähig) et inaptes (unfähig) se font à une vitesse phénoménale. Les femmes, elles, sont violées et exploitées comme des “objets sexuels”. D’autre part, plus de 300 crânes sont envoyés en Allemagne pour des recherches scientifiques afin de consacrer la supériorité de la race blanche. D’ailleurs, l’un des docteurs chargés de ces recherches, Fritz Fischer, qui inspirera Hitler dans son ouvrage “Mein Kampf”, affirmera même que “la musculature du visage classe ( le herero) sur un échelon inférieur de l’évolution de l’espèce humaine”, marquant une obsession pour la question raciale.
Au total, entre 1904 et 1908, 60 000 Hereros seront tués, exterminant plus des 2⁄3 de leur population, dans un génocide qualifié “d’oublié” par Jacques Fredj, directeur du mémorial de la Shoah.
Après ce massacre marquant, les Hereros souffrent toujours de la spoliation de leurs terres et l’annihilation de leur économie d’élevage, exaspérés par la pauvreté mais aussi par leur passé oublié. Engagés dans un perpétuel combat pour la reconnaissance de leur génocide et la réparation des dommages, ils demandent aux autorités Allemandes le versement d’aides directes, contestant l’aide au développement d’1,3 Milliards d’euros accordée avec les autorités Namibiennes sur trente ans, après la reconnaissance du génocide le 28 mai 2021 par le ministre des Affaires étrangères Allemand Heiko Maas.
“Nous réclamons nos vaches, nos moyens de production, nos terres, leurs enfants (colons allemands) sont toujours assis dessus”. Ce sont les mots de Nandi Mazeingo, secrétaire général de Ovaherero Traditional Authority, une association qui lutte activement pour la reconnaissance du génocide des Hereros. Une tribu qui ne représente plus que 7% de la population Namibienne aujourd’hui après le véritable nettoyage ethnique orchestré par le IIe Reich. L’histoire est souvent le combat de plusieurs générations, celui des Hereros pour leur reconnaissance s’inscrit certainement dans cette longue temporalité, souvent semée d’embûches et gangrenée par les intérêts politiques.
Bibliographie
“La Namibie, histoire d’une colonie allemande”, Radio france, consulté le 29 janvier 2023.
“Plus de 100 ans après le génocide, l’Allemagne restitue des ossements à la Namibie”, France 24, consulté le 29 janvier 2023.
California Law Review, July 1, 2005
“Les oubliés du colonialisme”, Arte regards
“ Namibie : un double passé colonial” Le dessous des cartes, Art https://www.france24.com/fr/%C3%A9missions/billet-retour/20211112-namibie-en-1904-le-g%C3%A9nocide-des-h%C3%A9r%C3%A9ros
“Namibie : en 1904, le génocide des Héréros”, France 24
“Namibie, le génocide du IIe Reich”, France 5 https://www.namibie-en-liberte.com/conseils-voyage/culture/herero
“Le peuple des Herero”, Namibie en liberté, consulté le 29 janvier 2023. https://www.universalis.fr/encyclopedie/herero/
“Herero”, Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 29 janvier 2023. https://www.memorialdelashoah.org/archives-et-documentation/genocides-xx-siecle/genocide-herero-nama.html
“Le génocide des Heroro et Nama”, Memorial de la shoah, consulté le 29 janvier 2023.
Ghali Benkiran
L1 Droit – Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et membre actif d’ESMA
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