Dans un monde globalisé, dans un schéma d’abolition perpétuelle de toute structure hermétique, de toute frontière spatiale, la langue constitue inéluctablement un puissant outil d’accès à la complexité de l’humanité, dans sa diversité la plus profonde.
La langue, c’est avant tout un état d’esprit, mais aussi le miroir d’une longue construction socio-historique qui se reflète dans ses tonalités, ses variations et son alphabet.
De nos jours, la langue est, à juste titre d’ailleurs, présentée comme un outil de soft power, faisceau d’une affirmation identitaire et d’une prospérité espérée, mais aussi d’une perpétuelle tutelle, subsumée dans un esprit paternaliste profond.
I – Le lingala: une construction historique ancrée dans la période de la colonisation
Parlée par plus de 50 millions de personnes dans le monde, le lingala est une langue bantoue dont l’espace d’expression se concentre à l’Ouest de l’Afrique centrale, essentiellement au sein de la République du Congo et de la République démocratique du Congo, ainsi qu’au sud de la République centrafricaine.
Si le lingala trouve sa consécration comme langue nationale dans la Constitution de la République démocratique du Congo, ainsi que la Constitution du Congo Brazzaville, il ne s’agit pas d’un hasard ou d’un calcul politique trompeur, mais d’une longue construction socio-historique marquée par la colonisation belge du Congo.
Dès les années 1880, lors des explorations menées par le journaliste Anglais Morton Stanley, le lingala, épousant l’appellation occidentale de l’époque “bangala”, est essentiellement parlée aux alentours du Congo.
Cependant, à l’approche de l’établissement des colons belges, elle s’inscrit progressivement dans un schéma triangulaire de communication entre les colons européens, leurs intermédiaires sévissant en Afrique et les populations locales. Le fleuve Congo constituant un espace de flux commerciaux importants, le “bangala” s’établit alors comme une langue véhiculaire, essentielle aux échanges entre les commerçants et la population locale établie. Dès lors, elle sera présentée comme la “langue du fleuve “ ou encore la “langue commerciale”.
Avec la multiplication de “stations” belges de commandement à l’image de “Nouvelle-Anvers” en 1890, l’envoi de troupes de la “force publique” en soutien d’autres postes de commandement favorise l’expansion du “bangala” à travers le territoire occupé, notamment dans des villes importantes à l’image de Léopoldville ou encore StanleyvilleAinsi, après 1890, sous la direction des missionnaires de Scheut, le “lingala” remplace la dénomination “bangala”, et s’inscrit progressivement comme la langue officielle des diocèses catholiques, mais aussi comme médium préféré de la musique de la population congolaise ( à partir de 1940), s’étendant d’ailleurs jusqu’à la région de l’Équateur, au Nord-Ouest du “Congo belge”.

II – L’émergence d’une langue “supranationale” ?
Dans ses travaux sur l’émergence du Lingala au sein de la République démocratique du Congo, le professeur Eyamba Bokamba présente le lingala comme une langue “supranationale”.
À cet égard, son affirmation comme langue officielle de la police nationale en RDC, mais aussi de l’armée, traduit un indéniable saut qualitatif et quantitatif dans l’importance accordée au “lingala”, dans une logique d’affirmation culturelle et identitaire.
Dans un pays marqué par une diversité culturelle et linguistique, cumulant d’ailleurs plus de 214 langues indigènes vivantes, le lingala s’inscrit comme une langue dépassant le prisme des variations locales, au profit du statut de “langue véhiculaire” unissant la population congolaise autour d’une langue affirmée et connue de tous, malgré l’existence de nombreux dialectes comme le lingala littéraire, le lingala populaire, ou encore le Kinshasa lingala.
Enfin, il convient de souligner que le lingala, selon le professeur Eyamba a été l’un des moteurs du soulèvement populaire contre le régime de Joseph Kabila, s’inscrivant alors comme une langue de communication et d’expression commune entre la population locale et une diaspora soucieuse d’un pays en proie à une colère sociale et une instabilité politique dévastatrice.
III – La diaspora : Interface d’un rayonnement culturel fécond?
De Damso à Youssoupha, en passant par Fally Ipupa, le rap français s’inscrit comme un instrument, fort de sa popularité et de son public nombreux, déterminant dans le rayonnement du lingala à l’échelle internationale.
À cet égard, plusieurs chansons sont interprétées dans leur intégralité en lingala, à l’image de la chanson Niama Na Yo du rappeur Youssoupha, cumulant plus de 780 000 vues sur Youtube.
La langue est un patrimoine commun qui se doit être préservé et mis en valeur pour tout pays désirant s’affirmer à l’échelle internationale. Si la langue s’inscrit de nos jours d’abord comme un outil de “soft power”, elle doit être d’abord un outil d’affirmation identitaire, d’union et de rassemblement des peuples, tout en étant la clé qui ouvre les portails qu’imposent les frontières physiques et les barrières socio-culturelles.
À cet égard, le lingala, qui s’est progressivement imposée comme lingua franca, essentielle aux communications locales, porte un projet de rayonnement à l’international ambitieux, dont les prémices sont dès à présent tangibles.
Bibliographie
- “L’histoire du Lingala” ; Ya Biso Kids (Youtube)
- “Lingala : Ses origines et son enseignement dans les écoles en régions Lingalophones” ; Makolo Digital Tele-LAVDC (Youtube)
- “Nationalism and the emergence of Lingala as a supranational language in DR Congo”, Eyamba G. Bokamba ; Wiley Online Library
- “The Lingála-Kiswahili border in north-eastern Congo. Its origins in Belgian colonial state formation of the late nineteenth and early twentieth centuries”, Michael Meeuwis, Persée
Benkiran Ghali
L1 Droit, membre actif du pôle rédaction d’ESMA
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