La Réintroduction des langues langues locales dans systèmes éducatifs d’Afrique de l’Ouest et du Sahel : La promotion du multilinguisme mise à rude épreuve

S’il l’on considère que « celui qui acquiert une seconde langue possède une seconde âme » ​​, alors les peuples d’Afrique de l’Ouest et du Sahel en possèdent un nombre extraordinaire ! En effet, ces territoires sont  caractérisés par leur diversité tant au niveau géographique, qu’au niveau culturel et linguistique. Cette grande diversité culturelle s’explique par une Histoire qui a été marquée, pendant des siècles, par l’apogée, puis l’effacement de différents royaumes et empires, mais aussi par l’exploitation et le commerce de matières premières telles que l’or. À partir du XIe siècle, les sociétés ouest africaines ont également été imprégnées par l’arrivée de l’Islam et donc par l’influence plus que grandissante de la langue arabe dans la région. Suite à cette période, de nombreux petits royaumes vont se succéder et cette étape marquera le début du commerce d’esclaves par les Européens allant du XVIIIe et au XIXe siècle. Une autre période historique importante qu’a connue la région, est la période coloniale allant de la fin du XIXe au XXe siècle, durant laquelle les grandes puissances européennes telles que la France ou encore la Grande-Bretagne, contrôlent presque l’intégralité de la région et y imposent notamment leurs codes linguistiques aux détriment des langues ethniques. À partir des mouvements d’indépendances, les différentes nations et groupes ethniques n’ont pas eu d’autres choix que de s’établir sur des frontières issues de l’organisation administrative coloniale et qui persistent encore de nos jours, divisant ainsi des groupes ethniques uniques entre deux ou plusieurs Etats. Ainsi, très peu de régions dans le monde ont une aussi grande diversité de langues que l’Afrique de l’Ouest, car il existe plus de 500 langues indigènes réparties en trois grands groupes  : 

  • Le groupe des langues nigéro-congolais des Fon, des peuples du sud du Sahel et du Mandé.
  • Le groupe des langues afro-asiatique parlées notamment par les touaregs et qui existe au Sahel et au nord.
  • Le groupe des langues nilo-sahariennes qui comprend notamment le Songhaï.

En parallèle à cette grande diversité des langues ouest-africaines, l’art oratoire et la musique sont un élément marquant et unificateur de toutes les langues de la région. En effet des artistes à la renommée internationale telle que Tiken Jah Fakoly de Côte d’Ivoire, Salif Keita Oumou Sangaré ou Idrissa Soumaoro du Mali ont en commun une volonté de s’exprimer et de faire rayonner les langues mandingues telles que le Bambara, le Malinké, ou encore le Soninké.

Toutefois, une difficulté persiste quant à la diffusion de ces langues sur le territoire : la question de la  domination des langues coloniale. Depuis plus d’un demi-siècle après les indépendances, la plupart des pays d’Afrique de l’Ouest ont comme langue officielle l’anglais, le français, l’espagnol ou encore le portugais. Le délaissement des langues locales, qui dans la plupart des sociétés africaines ne sont ni enseignées dans le système éducatif officiel, ni utilisées par l’administration centrale, considèrent une menace réelle de disparition de ces langues. La disparition des langues locales aurait alors des conséquences irréversibles car  la langue représente un élément d’identification et un vecteur de normes culturelles. Sa disparition serait donc obligatoirement associée à une perte d’identité et à une déculturation. 

Pour pallier ce problème majeur de perte d’identité culturelle, les Etats africains tentent de mettre en place des politiques d’alphabétisation. Le rôle de l’Etat consistera à sensibiliser davantage, offrir plus de formations et de classes d’alphabétisation. Toutefois, cette volonté de mettre en place des classes et des formations rencontrent des difficultés dans les pays où dans les divisions administratives cohabitent plusieurs groupes linguistiques. En effet, la promotion d’une langue locale au détriment d’une autre pourrait être la source de conflit et nuire à une cohésion nationale parfois déjà assez fragile. Dans ce cas de figure, l’Etat devrait offrir davantage de classes d’alphabétisation pour tous les groupes linguistiques, afin que quiconque intéressé par l’apprentissage de sa langue locale puisse se faire alphabétiser. Le Mali en guise d’illustration, est un pays de la région où il y a eu une politique très volontariste d’introduction des langues africaines locales dans le système d’enseignement. Or, cette politique n’a pas apporté les fruits qui étaient attendus…

I – Les débuts de l’alphabétisation en langues locales au Mali

C’est avec l’appui de l’UNESCO que le gouvernement malien a mis en place une politique d’introduction des langues africaines dans le système éducatif. Entre le 28 février et le 5 mars 1966, l’UNESCO organisa à Bamako une réunion internationale, où furent proposés des alphabets harmonisés pour six langues présentes dans différents pays à la fois (peul, songhaï, haoussa, tamacheq [touareg], kanouri et mandingue [ensemble bambara-malinké]). Par la suite, des programmes d’alphabétisation fonctionnelle démarrèrent en 1968 au Mali, essentiellement en bambara, mais aussi en peul.


Après la fin du financement de l’UNESCO, en 1972, les programmes d’alphabétisation purent continuer dans le cadre de la Direction nationale de l’alphabétisation fonctionnelle et de la linguistique appliquée.


À la fin des années 1970, les langues africaines étaient donc utilisées essentiellement dans des systèmes non-formels d’éducation, s’adressant à des personnes d’origine rurale, en marge du système officiel. Mais devant le relatif succès de l’alphabétisation dans les langues locales, on commença à envisager l’introduction de ces langues dans l’enseignement scolaire officiel, en association avec le français. Toutefois, le problème de la transcription phonétique des langues locales persiste. Au début des années 80, des linguistes théoriciens qui avaient fait leurs études à l’étranger commencèrent à essayer d’imposer l’alphabet phonétique international et ces linguistes se retrouvèrent en conflit avec les pédagogues de terrain et les cadres de l’alphabétisation et de l’Éducation nationale qui percevait des problèmes pratiques posés par l’alphabet phonétique.

II – Le N’ko : la mise en place ambitieuse d’un alphabet universel pour répondre aux problèmes de retranscription des langues locales

Souleymane Kanté,inventeur du l’alphabet Nko

La création de l’alphabet N’ko par Souleymane Kanté en 1944 est une alternative intéressante à la réintroduction des langues mandingues d’Afrique de l’Ouest dans la vie quotidienne et dans les systèmes éducatifs de la région. « N’ko » signifie « je dis » dans tous les dialectes mandingues, parlées par 30 à 40 millions de personnes. Le N’ko tente donc à travers un alphabet, d’unifier tout un peuple en préservant la richesse de sa culture et de son savoir.
La beauté de l’alphabet N’ko réside dans son universalité. Il ne permet pas uniquement d’écrire les langues mandingues, mais peut aussi être utilisé pour la majorité des autres langues africaines, et également certaines langues étrangères telles que le russe et le chinois. Le N’ko est donc au service de toutes ces langues qui sont conservées uniquement de manière orale, en leur donnant une chance de laisser une trace écrite.


Bibliographie

  1. Langues ouest-africaines | Cultures d’Afrique de l’Ouest (culturesofwestafrica.com)
  2. Les langues mandingues. (cosmovisions.com)
  3. Plurilinguisme, politique linguistique et éducation – Les difficultés d’introduction des langues locales dans le système scolaire du Mali – Presses universitaires de Rouen et du Havre (openedition.org)
  4. Mandingue. Histoire, économie, culture Mandingue Mandingue Traditions (boowiki.info)
  5. Le N’ko: l’alphabet universel africain (korofolie.com)

Fatouma Diabate 
Étudiante en Licence 3 de science politique à Paris I Panthéon Sorbonne 

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