Point histoire : La Guinée

Ahmed Sékou Touré : L’homme qui a dit “non”

Comme l’affirmait l’éminent poète français Charles Baudelaire : “l’Histoire n’a pas de fin”. Dans un monde en proie à des défis constants, à des bouleversements d’ordre politique, économique, social, écologique et culturel féconds , l’Histoire, riche de sa mémoire vive et imperméable, nous offre telle une roche stratifiée, un ensemble de récits uniques et fondateurs, sans cesse renouvelés. D’aucuns diront qu’elle est souvent tragique, d’autres soutiendront qu’elle cache des épopées héroïques, mais l’Histoire, tel un ruisseau, suit son courant, insensible à ces considérations subjectives.

Dans un continent africain marqué par une histoire coloniale indélébile, l’Histoire a été le marqueur d’un passé amer, âpre et douloureux, mais aussi le catalyseur d’un progrès autonome et d’une reconstruction nécessaire, au service d’un continent africain prospère. Riche de leaders engagés, bien qu’aux personnalités controversées, de Thomas Sankara à Léopold Sédar Senghor, l’Afrique a construit les premières pierres de son nouvel édifice à partir de ses noms gravés à jamais dans le Panthéon de son histoire, parmi lesquels figure incontestablement Ahmed Sékou Touré.

Une jeunesse d’un syndicaliste déterminé 

Né le 5 janvier 1922 à Faranah, en Guinée française, dans une famille musulmane d’ethnie malinké, Sékou Touré étudie d’abord au sein d’écoles coraniques, avant d’intégrer le lycée technique français “ George-Poiret” de Conakry dont il sera expulsé au bout d’un an, après avoir protesté contre la mauvaise qualité de la nourriture servie aux élèves. Dès sa jeunesse, fasciné et stimulé intellectuellement par les travaux de Lénine et Karl Marx, Sékou Touré s’engage immédiatement  au sein du mouvement ouvrier et devient secrétaire général du syndicat des travailleurs des P.T.T qu’il crée en 1945, alors qu’il occupe un emploi administratif au service des postes. D’ailleurs, il participera également  à la fondation de la Fédération des unions ouvrières de Guinée dont il deviendra le vice-président, et assistera  à Paris au congrès de la C.G.T en 1946.

Après une aventure syndicale structurante, c’est sur le terrain de la politique que s’engagera Sékou Touré, épris du rêve d’une Guinée libérée du joug colonial. Dès 1951, il prend la tête du Parti démocratique de Guinée (PDG), antenne guinéenne du Rassemblement démocratique africain fondé par son homologue ivoirien Félix Houphouët-Boigny. Après un échec aux élections législatives à l’Assemblée Nationale française en 1951,, sa carrière politique sera enrichie d’une expérience en tant que conseiller général en 1954 et de maire de Conakry en 1955, avant de devenir secrétaire général de l’Union générale des travailleurs d’Afrique noire (U.G.T.A.N), renforçant ainsi le charisme d’un personnage engagé dans une perpétuelle lutte pour l’indépendance de la Guinée et pour le respect des droits des ouvriers. Dès lors, Sékou Touré se place au cœur de la politique Guinéenne, son personnage est apprécié et soutenu à l’échelle nationale, légitimant ainsi ses interventions et son discours audacieux, qualifié parfois de provocateur. 

L’homme qui s’est opposé à Charles de Gaulle 

Dans un contexte politique sismique, marqué par l’embrasement d’un conflit armé en Algérie, la France se trouve dans une position particulièrement inconfortable, confrontée à l’essor d’une contestation croissante de son assise coloniale. Dans cette atmosphère caractéristique d’une crise durable, le président de la République française René Coty fait appel au “plus illustre des français”, le Général de Gaulle, figure de la résistance et de la libération, s’inscrivant alors comme le symbole salvateur d’une instabilité menaçante. 

Engagé dans une tentative complexe de dilution d’une véritable fronde coloniale, le Général de Gaulle  entame en août 1958 une tournée africaine, marquée par la visite du Sénégal et de la Côte d’Ivoire. Dans une période structurée par l’organisation du référendum sur la “Communauté” à l’échelle de l’ensemble des colonies, le Général de Gaulle décide finalement de s’arrêter en Guinée, s’inscrivant comme l’un des seuls pays contestataires de la Communauté, dans une campagne activement menée par un député très critiqué du président du Conseil, en la personne de Sékou Touré.

 

Dès son arrivée à Conakry, le Général de Gaulle, animé par un désir de conviction et un discours d’apaisement, fera face à un discours aussi marquant que surprenant de Sékou Touré au sein de l’Assemblée territoriale Guinéenne. Imbibé d’une tonalité agressive, à certains égards véhémente, dans une Assemblée regroupant de nombreux députés vêtus de tenue traditionnelles africaines, Sékou Touré prononcera cette phrase marquante qui choquera le Général de Gaulle et les chaits fonctionnaires de l’administration l’ayant accompagné lors de son voyage: “Nous préférons la pauvreté dans la liberté à la richesse dans l’esclavage”. 

Le message était clair, dans une Assemblée animée par une excitation inégalée, dans un discours freiné  par de longues séquences d’applaudissements, de cris en faveur de l’indépendance, le président du Conseil, affaibli par un discours fondateur, se résigne alors à un discours rassurant, garant d’un choix souverain du peuple guinéen qui sera accepté et respecté. 

C’est ainsi que le 28 septembre 1958, le “NON” l’emporte dans le référendum sur la communauté, proclamant ainsi l’indépendance de la Guinée, s’inscrivant alors comme le premier État francophone indépendant d’Afrique Noire. 

Néanmoins, le désir d’éliminer une figure constitutive de la désapprobation française en Guinée ne faiblira pas avec son accès à l’indépendance. C’est alors que s’enclenchera sous les ordres du service de contre-espionnage français une opération de déstabilisation de la Guinée, marquée par la distribution de faux billets de francs guinéens à travers le pays, mais aussi l’armement d’opposants à Sékou Touré, l’objectif étant de rendre ce dernier “vulnérable, impopulaire et faciliter la prise du pouvoir par l’opposition”, comme l’affirme Maurice Robert, alors chef du secteur Afrique au service de documentation extérieure et de contre-espionnage, ajoutant même que les opposants ont été armés afin de “développer un climat d’insécurité en Guinée”. Cependant, l’opération connue sous le nom “opération persil” sera vouée à l’échec, après une anticipation des manoeuvres des services de contre-espionnage par la garde rapprochée de Sékou Touré.

L’histoire demeure un livre ouvert dont les pages s’écrivent sous l’ancre des témoignages, des héritages politiques et culturels, mais aussi des figures symboliques d’un passé révolu dont la mémoire ne saurait s’effacer. Dans ce livre de l’histoire figure incontestablement Sékou Touré. Un  personnage qui demeurera  controversé, reluisant d’un courage et d’une soif de liberté incontestée, mais certainement terni par une dictature ténébreuse et tragique. 


Benkiran Ghali

L1 droit à Paris 1 Panthéon-Sorbonne et membre actif chez ESMA 

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